« Il est des personnes, ô roi Gélon, qui pensent que le nombre des grains de sable est infini. Je ne parle point du sable qui est autour de Syracuse et qui est répandu dans le reste de la Sicile, mais bien de celui qui se trouve non seulement dans les régions habitées, mais encore dans les régions inhabitées. Quelques-uns croient que le nombre des grains de sable n’est pas infini, mais qu’il est impossible de lui assigner un nombre plus grand. Si ceux qui pensent ainsi se représentaient un volume de sable qui fût égal à celui de la terre, qui remplît toutes ses cavités, et les abîmes de la mer, et qui s’élevât jusqu’aux sommets des plus hautes montagnes, il est évident qu’ils seraient bien moins persuadés qu’il pût exister un nombre qui surpassât celui des grains de sable.
Quant à moi, je vais faire voir par des démonstrations géométriques auxquelles tu ne pourras refuser ton assentiment, que parmi les nombres dénommés par nous (…), il en est qui excèdent le nombre des grains d’un volume de sable égal non seulement à la grandeur de la terre, mais encore à celui de l’univers entier. »
Ainsi, débute le magnifique texte, nommé en France « L’Arénaire » (du latin arena, sable) qu’adresse Archimède au roi de Syracuse, au troisième siècle avant notre ère et dans lequel il se donne les moyens d’écrire le nombre de grains de sable susceptibles de remplir l’Univers tout entier, alors que la numération grecque antique ne dépassait pas la myriade de myriades (une myriade, c’est 10 000).
Pour ce faire, il commença par réaliser une estimation du nombre de grains de sable contenus dans une unité de volume (en fractions de doigt, puis en stades). Il évalua ensuite, expériences à l’appui, le volume de l’Univers, c’est-à-dire l’espace enclos dans la « sphère des fixes », qui est le globe imaginaire sur lequel les anciens pensaient que les étoiles étaient fixées ! Enfin, il construisit un système de numération adéquat qui lui permit de nommer l’énorme nombre . Il put alors calculer que le nombre cherché était majoré par celui que nous écririons . Des expériences et des calculs de géophysique, la construction d’un système de numération innovant : l’Arénaire est bien un résumé des caractéristiques de l’œuvre d’Archimède, dans un texte au caractère poétique indéniable ! Aujourd’hui, on ne parle que d’un « univers observable » mesurant 100 milliards d’années-lumière : il y tiendrait un nombre de grains de sable bien supérieur à celui qu’Archimède avait conjecturé…
Brève rédigée par Didier Missenard (UEVE et Lycée d’Orsay).
Pour en savoir plus :
- Présentation de L‘Arénaire sur Wikipedia.
- « Archimède face à l’innombrable », article de Ilan VARDI, in Pour la Science, numéro spécial n°278, Les Infinis.
- « L’arénaire » :
- texte original, en grec, mis en ligne par I. Vardi.
- traduction française de F. Peyrard (F. Buisson éditeur,1807), numérisée par Marc Szwajcer.
- traduction anglaise commentée.
Crédits Images : Wikimedia Commons.
Attention, ce qui semble être une petite coquille : d’après Wikipedia, l’énorme nombre n’est pas 10^810^16 mais 10^(8*10^16). Mais je ne suis pas allé voir le texte… 🙂 Merci pour cette découverte !
H. Solatges
Bonsoir,
Vous avez tout à fait raison, une formule mal passée en LaTeX. Voilà qui est corrigé !
Cordialement,
Antoine
13.7 milliards d’années lumière observables “au passage vite fait’.