Imaginons le modèle de communication suivant. Deux personnes souhaitent s’envoyer des SMS : on dira qu’elles sont en interaction (c’est-à-dire en relation). On peut considérer que si elles sont trop proches, l’intérêt d’un envoi de SMS est négatif (contre-productif) et qu’elles feraient mieux de se parler directement. Ensuite, quand la distance entre elles augmente, l’intérêt commence par croître puis diminue considérablement et devient très vite nul, les opérateurs téléphoniques n’étant par exemple plus compatibles.
On peut imaginer que l’intérêt de l’envoi d’un SMS est maximum si les deux personnes sont à une distance donnée, qu’on appelle d. Pour trois personnes, l’intérêt total, c’est-à-dire la somme des intérêts individuels, est le plus grand si elles sont placées là aussi à une distance d les unes des autres. Ainsi elles forment un triangle équilatéral de côté d. Mais que se passe-t-il quand le nombre de personnes augmente jusqu’à devenir très grand ?
Si le nombre de personnes devient infini et qu’elles sont toutes placées dans une pièce elle aussi « infinie », il suffit qu’elles se placent toutes aux sommets de triangles équilatéraux pour que l’intérêt total d’envoi des SMS soit le plus grand possible. Ainsi, on voit apparaître un réseau triangulaire, constituant un pavage du plan. Ceci peut par exemple être utile pour placer des antennes de téléphonie mobile.
Les travaux de 2006 du mathématicien Florian Theil justifient ces affirmations. Il a étudié plus précisément ce que l’on appelle la cristallisation plane. Si on considère un nuage de gaz coincé entre deux plaques et qu’on le refroidit beaucoup, celui-ci se solidifie : ses particules finissent par s’organiser sous forme d’un cristal dont l’énergie d’interaction entre elles est la plus basse possible. Pour certains gaz dans cet état solide, il existe une distance d qui rend l’énergie d’interaction entre particules la plus petite possible, celle-ci étant trop forte à courte distance et inexistante à longue distance, et donne une configuration sous forme de réseau triangulaire.
Une telle structure apparaît dans d’autres situations physiques par exemple au sein de certains matériaux dits « supraconducteurs ». Ces matériaux sont utilisés entre autres dans les accélérateurs de particules ou par exemple pour le déplacement en suspension du train japonais Maglev. Quand ces matériaux sont placés dans un champ électromagnétique, on voit apparaître des vortex, sorte de tourbillons, et qui sont apparemment placés sur un réseau triangulaire (voir l’image ci-dessous). Les travaux actuels d’Etienne Sandier et Sylvia Serfaty sur la supraconductivité visent à comprendre un tel phénomène en étudiant une énergie d’interaction entre différents vortex placés dans un plan. Ils ont déjà montré qu’elle était minimale pour le réseau triangulaire quand les vortex sont sur les sommets d’un pavage. Il reste à montrer que c’est encore vrai si l’on considère toutes les configurations de vortex possibles.
Brève rédigée par Laurent Bétermin (Univ. Paris-Est Créteil) d’après les travaux de Florian Theil (Univ. de Warwick), Etienne Sandier (Univ. Paris-Est Créteil) et Sylvia Serfaty (Univ. Pierre et Marie Curie et New York University).
Pour en savoir plus :
- Une vidéo sur les thèmes du vortex et de la supraconductivité : « Les maths selon Sylvia Serfaty ».
- Etienne Sandier, Sylvia Serfaty (2012), « Form the Ginzburg-Landau Model to Vortex Lattice Problems », arXiv1011.4617 [En anglais].
- Florian Theil (2006), « A proof of crystallization in two dimensions », Communications in Mathematical Physics, Volume 262, Issue 1, pp. 209-236 [En anglais].
Crédits Images :
- Première image : Agence France Presse.
- Seconde et troisième images : Céline Bétermin.
- Quatrième image : H. F. Hess et al. / Bell Labs / Phyical. Review Letter 62, 214 (1989)
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