De solides marées

Gravimètre supraconducteur de l’observatoire Géophysique de Strasbourg servant (entre autres) à observer les marées terrestres.

Vous savez certainement que les marées océaniques sont des déformations des océans dues aux forces d’attraction de la Lune et du Soleil sur l’eau et sur l’ensemble de la Terre. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est qu’il y a aussi des marées sur la Terre solide.

La force d’attraction de la Lune (ou du Soleil) agit non seulement sur l’eau des océans mais aussi sur toute particule de Terre, qu’elle soit proche de la surface ou plus en profondeur. Dans la direction Terre-Lune cette force tend à éloigner de son centre les particules, alors que dans la direction perpendiculaire elle tend à les en rapprocher. Même si cette force agit sur l’ensemble du globe, du centre à la surface, la déformation qui en résulte, appelée marée terrestre, est beaucoup plus simple à calculer que celle de la marée océanique. La Terre prend alors approximativement la forme d’un ballon de rugby dont une excroissance pointe vers la Lune et l’autre à l’opposé. C’est une figure statique, correcte pour les marées terrestres mais fausse pour les marées océaniques, qui sont des phénomènes dynamiques. La différence vient du fait que la partie solide du globe réagit beaucoup plus rapidement aux sollicitations extérieures que la masse liquide des océans. Concrètement, les ondes sismiques se propagent bien plus vite dans la Terre solide que la houle à la surface de l’eau.

tg_marees

Variation de pesanteur à Strasbourg (ordonnées, unités arbitraires) au cours du temps (abscisse, en heures) enregistrées par le gravimètre supraconducteur : on voit les périodes diurne et semi-diurne modulées par une période de 14 jours.

On peut ainsi calculer les déformations de la Terre solide en ne tenant pas compte de l’accélération. Pour connaître l’ampleur de la déformation deux solutions se présentent : le calcul et l’observation. Pour la première, il faut connaître les paramètres élastiques de la Terre (eux-mêmes connus à partir d’autres observations, sismologiques celles-là) et faire jouer ses connaissances en mathématiques et en physique. Pour l’observation, remarquons tout d’abord que la force d’attraction lunaire a plusieurs effets sur un instrument situé en surface terrestre. Elle exerce une force sur l’instrument et modifie donc directement la pesanteur. En déformant la Terre, elle soulève ou abaisse l’instrument par rapport au centre de la Terre et elle modifie l’attraction de la Terre elle-même. Ainsi la force de marée modifie l’intensité de la pesanteur, sa direction et la position de l’instrument. Ces quantités peuvent être mesurées respectivement avec un gravimètre (schématiquement une masse au bout d’un ressort), un inclinomètre (un fil à plomb par rapport aux étoiles) et un système de positionnement (par exemple le GPS).

Les calculs et les observations disent la même chose : à la surface de la Terre chacun de nous monte et descend environ deux fois par jour de 30 cm par rapport au centre de notre planète. Nous ne le voyons ni ne le sentons pas car ce phénomène se produit lentement et à grande échelle.

Brève rédigée par Frédéric Chambat (École Normale Supérieure de Lyon) et Étienne Ghys (CNRS et École Normale Supérieure de Lyon).

Pour en savoir plus :

  • Coulomb, J., et Jobert, G. (Ed.), 1973, Traité de géophysique interne, t. 1., Sismologie et Pesanteur, Masson.
  • Agnew, D. C., 2007, Earth Tides, in Treatise on geophysics, vol. 3, Herring, T. (Ed.), Elsevier.
    Menke, W., Abbot, D., 1990, Geophysical theory, Columbia University Press.
  • Pascoli, G., 2000, Astronomie fondamentale, 3ème éd., Dunod.
  • Brèves connexes Quand la mer monte ! et Anatomie d’une figure fausse, Frédéric Chambat et Étienne Ghys.

Crédits images :

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*