Nova et acuta orbis terrae descriptio ad uso navigantium emendata accomodataque (une description nouvelle et précise de la Terre corrigée pour les navigateurs).
Gerhard Kremer, né en Flandres en 1512, s’intéressait à tout : philosophie, théologie, géographie, mathématiques, astronomie, gravure, calligraphie, etc. En 1544, il fut emprisonné pour hérésie. En 1569, il publia la carte du monde qui a rendu son nom célèbre.
Comment ? Vous ne connaissez pas la carte de Kremer ? C’est parce qu’il a latinisé son nom, qui signifie « marchand », en Mercator. Vous connaissez la carte de Mercator ? Bravo ! Cette carte est un véritable symbole de l’époque des grandes découvertes.
Chaque point sur la Terre peut être repéré par sa latitude, qui varie de 90° sud à 90° nord, et sa longitude, qui varie entre 180° ouest et 180° est. Une idée bien naïve pour cartographier la Terre consiste à représenter un point de la Terre par le point sur la carte ayant les mêmes coordonnées. En abscisse la longitude et en ordonnée la latitude. Si l’on associe par exemple un degré à un millimètre, on obtient une carte du monde rectangulaire de 36 cm de large et 18 cm de haut. Les méridiens et les parallèles sont représentés par des segments de droite, verticaux et horizontaux. Cette carte n’a presque aucun intérêt, si ce n’est le fait que c’est la première à laquelle on pense… On l’appelle la plate carrée.
Quel est le problème de la plate carrée ? Observez que tous les méridiens ont la même longueur sur la Terre. La plate carrée se comporte bien de ce point de vue : les méridiens y sont en effet tous représentés par des segments verticaux de même longueur. Observez maintenant les parallèles sur la Terre. Leurs longueurs diminuent au fur et à mesure qu’on passe de l’équateur aux petits parallèles autour des pôles. Pourtant, sur la plate carrée, toutes les parallèles mesurent 36 cm, indépendamment de la latitude.
Autrement dit, la plate carrée respecte les longueurs le long des méridiens mais pas celles des parallèles. Un disque très petit sur la Terre est déformé sur la carte en une petite ellipse, plus large que haute (voir la figure 1).
Mercator veut résoudre ce problème. Il comprend probablement qu’il ne peut pas conserver à la fois les longueurs et la forme des petits disques sur tous les éléments de la carte. ll se donne alors pour objectif que les formes soient respectées quitte à ce que les longueurs ne le soient pas. Voilà comment Mercator procède. Il décide de modifier l’espacement entre les parallèles sur sa carte. Dans chaque zone, il dilate dans la direction des méridiens dans la même proportion que les parallèles. Certes, on perd le fait que la carte était exacte dans la direction des méridiens mais au moins, les petits disques sur Terre sont représentés par des disques sur la carte (d’un rayon différent).
Dans la carte de Mercator, les méridiens sont représentés par des verticales, les parallèles par des droites horizontales, mais l’espacement entre deux parallèles n’est plus proportionnel à la différence des latitudes, comme dans la plate carrée. Vous pourrez d’ailleurs vérifier qu’il est proportionnel à l’inverse du cosinus de la latitude (voir la figure 2).
Cette carte a eu un succès incroyable, pour diverses raisons. La principale est qu’elle était utile pour les marins : un navire qui fait route à cap constant sur la Terre décrit une courbe (dont le nom mathématique barbare est loxodromie) qui est représentée sur la carte par une droite. Facilitée pour tracer la route. Avantage mathématique : ce type de cartes, qui ne préserve peut-être pas les longueurs, mais qui préserve les formes des domaines infiniment petits, est défini, sans beaucoup d’imagination, comme conforme. Ce concept est devenu fondamental en mathématiques : en passant du latin au grec, on parle aujourd’hui de fonctions holomorphes. Leurs applications sont innombrables, et on en parlera (sans doute) dans d’autres brèves !
Aujourd’hui, lorsqu’on donne la formule qui décrit la carte de Mercator, on utilise les logarithmes. Mais du temps de Mercator, ces logarithmes n’avaient pas encore été découverts ! D’ailleurs pour un mathématicien contemporain, la carte de Mercator n’est rien d’autre que la fonction logarithmique d’un nombre complexe. Mercator n’aurait pas reconnu sa carte, lui qui ignorait les logarithmes tout autant que les nombres complexes !
Brève rédigée par Frédéric Chambat (École Normale Supérieure de Lyon) et Étienne Ghys (CNRS et École Normale Supérieure de Lyon).
Pour en savoir plus :
- Biographie de Gerhard Kremer [En anglais].
- Brève en lien « Archimède et l’Afrique » d’Etienne Ghys sur Mathématiques pour le planète Terre 2013.
- Une seconde brève sur « Un défi cartographique ».
- Site sur la cartographie vue sous l’angle mathématique.
Crédit images : Wikimedia commons.
2 Commentaires