En Amérique du Nord, ce cerisier (Prunus Serotina Ehrh) est apprécié notamment pour la qualité de son bois. Introduit en Europe, il a évolué sous une forme moins sympathique. Moins médiatisé que d’autres espèces invasives comme l’algue « tueuse », Caulerpa Taxifolia ou le crapaud buffle, on le retrouve pourtant sur 50% de la superficie des forêts dans la partie tempérée de l’Europe. La modélisation mathématique nous permet de comprendre comment la forêt de Compiègne a été complètement envahie en un siècle et demi.
Comment cet intrus prend-il la place des autres ? Une graine germe dans le sol d’une forêt, donnant naissance à une plantule. Tapie dans l’ombre des grands arbres, la plantule refuse de grandir (syndrome d’Oskar). Une tempête survient, couchant les grands arbres. Abreuvée de lumière, la plantule grandit très vite et prend la place des arbres indigènes. Nous constatons ici qu’un évènement rare, la tempête, qui se produit une à deux fois par siècle, a une conséquence importante sur l’écosystème de la forêt. Le modèle mathématique doit prendre en compte le hasard, c’est-à-dire le rôle des probabilités. Revenons à notre population de cerisiers. Comment fait-elle pour envahir l’ensemble de la forêt ? Adulte, l’arbre produit de nombreuses graines, qui sont contenues dans les fruits. Elles peuvent donner naissance à des plantules qui contaminent ainsi les parcelles voisines. Les fruits étant éventuellement avalés par les renards, les graines peuvent se déplacer sur de longues distances.
Nous avons réalisé un modèle mathématique pour comprendre ce phénomène invasif. Ce modèle est un modèle gigogne, c’est-à-dire à deux échelles emboîtées. A l’échelle locale, il simule l’accès à la lumière des plantules. A l’échelle paysagère, c’est-à-dire à l’échelle de la forêt, il simule la propagation de l’espèce d’une parcelle aux autres. Nous disposons d’un outil de simulation numérique, qui nous a permis de retracer l’histoire de l’invasion de la forêt de Compiègne depuis l’introduction du premier arbre, vers 1850, jusqu’à nos jours. Cet outil nous permet aussi d’imaginer des scénarii pour freiner l’invasion du cerisier tardif. Par exemple : quelle espèce d’arbre planter pour faire une barrière naturelle à cet envahisseur ? La simulation numérique est indispensable. L’expérimentation sur le terrain n’est pas possible puisqu’il faut attendre plus d’un siècle pour modifier l’écosystème d’une forêt.
Brève rédigée par Olivier Goubet (Université de Picardie Jules Verne) d’après les travaux dirigés par Guillaume Decocq (programme de recherche Prunus Serotina).
Pour en savoir plus :
- Le projet Prunus Serotina dont sont issus les résultats de l’article.
- Les plantes invasives, une menace pour les parcs naturels : le cas du parc naturel régional (PNR) Oise-Pays de France.
- Frédéric Paccaut et Emmanuelle Sebert, « La dynamique invasive du cerisier tardif » — Images des Mathématiques, CNRS, 2012.
- E. Sebert-Cuvillier, F. Paccaut, O. Chabrerie, P. Endels, O. Goubet, G. Decocq (2007), «Local population dynamics of an alien tree species with a complex life cycle: a stochastic matrix modelling approach.», Ecological Modelling, Vol. 201, No. 2, pp.127-143 [en anglais].
- E. Sebert-Cuvillier, V. Simon-Goyheneche, F. Paccaut, O. Chabrerie , O. Goubet, G. Decocq (2008), «Spatial spread of an alien tree species in a heterogeneous forest landscape : a spatially realistic simulation model.», Landscape Ecology, Vol. 23,No. 7, pp. 787-801 [en anglais].
- E. Sebert-Cuvillier, M. Simonet, V. Simon-Goyheneche, F. Paccaut, O. Goubet, G. Decocq (2010), «PRUNUS: a spatially explicit demographic model to study plant invasion in stochastic, heterogeneous environments.» Biological Invasions, Vol. 12, pp. 1183-1206 [en anglais].
Crédits image : CBN Bailleul-David Mercier.
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