La géométrie des artilleurs

Gosses

Reconstitution d’une construction de Servois par une classe de 6ème.

Janvier 1797, armée du Rhin. Dans une atmosphère épaissie par la fumée, les troupes de la jeune république française sont clouées au sol par les tirs ennemis. On aperçoit au loin le rougeoiement d’un canon ennemi qu’il faut absolument anéantir. Les munitions sont chères, il faut arriver à déterminer la distance à ce point de tir diablement inaccessible. L’officier d’artillerie en charge organise alors un étrange ballet : des soldats équipés de fanions s’alignent, se croisent, des mesures sont prises et bientôt l’officier est en mesure d’ajuster les tirs de ses troupes à la bonne distance. Ce scénario peut être imaginé à partir des exemples proposés par François-Joseph Servois dans son livre Solutions peu connues de différents problèmes de géométrie pratique.

Ce mathématicien tire son savoir de son expérience militaire et de ses recherches. Pour déterminer la distance AM, M étant un point inaccessible, A étant un point accessible, il propose des solutions exploitables sur le terrain militaire. Les soldats peuvent uniquement utiliser du matériel léger, solide et peu coûteux (jalons, chaîne d’arpenteur…). Même l’usage de la chaîne d’arpenteur est limité par les obstacles présents sur le terrain. Elle ne peut servir qu’à mesurer ou reporter des distances dans une direction fixée, elle ne peut être utilisée comme compas.
Voici alors l’une de ses solutions :

figure

Figure illustrant la détermination d’une distance inaccessible.

La construction doit être réalisée dans une zone suffisamment large, hors de portée des tirs ennemis. Le point M est inaccessible, mais visible. On plante le premier fanion en A, puis, alignés avec A et M, deux fanions en B et C. On mesure les longueurs AB et AC et on installe deux fanions D et E alignés avec A de façon à avoir AD=AB et AC=AE. On va chercher à construire sur la droite (AD) un point H tel que AH=AM. Pour cela, on va construire l’axe de symétrie des demi-droites [AM) et [AD).  Cet axe est leur bissectrice. On place un fanion au point d’intersection F des droites (CD) et (BE), la bissectrice est alors la droite (AF). Pour déterminer l’image H du point M dans la symétrie d’axe (AF), on construit le point G, intersection des droites (AF) et (ME). Le point H est alors le point d’intersection des droites (CG) et (AD). Les points H et M étant symétriques par rapport à la droite (AF), il suffit de mesurer AH pour connaître la distance AM.

Cette solution, très élémentaire, est un exemple de ce qu’on appelle la géométrie de la règle. La photo illustre l’exploitation de cette construction dans une classe de sixième. L’ouvrage de Servois présente un corpus très riche d’exemples assortis de solutions de différents niveaux. Il exploite des propriétés qui seront synthétisées par Poncelet dans son ouvrage Traité des propriétés projectives des figures (1822). Les contraintes de l’exercice de la géométrie sur le terrain, dans son sens étymologique de mesure de la Terre, ont contribué à la naissance d’une nouvelle branche des mathématiques abstraites, la géométrie de la règle. Son objet est l’étude des propriétés des alignements de points et des incidences de droites.

 

Brève rédigée par Anne-Marie Aebischer et Hombeline Languereau  (IREM de l’Université de Franche-Comté).

Pour en savoir plus :

Crédit Image : A. M. Aebischer.

3 Commentaires

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*