La petite formule de Tom

Thomas Bayes

Le révérend Thomas Bayes est né en Angleterre en 1701 ou 1702. Ministre du culte presbytérien, cet intellectuel non conformiste semble avoir mené une vie paisible de célibataire studieux, se passionnant pour la théologie, les sciences naturelles, la mécanique et les mathématiques. Son nom est aujourd’hui associé à une très élémentaire formule mathématique enseignée dans tout cours d’introduction au calcul des probabilités. Thomas Bayes n’aurait pas connu la célébrité qui est la sienne auprès des statisticiens du monde entier si, deux ans après sa mort, Richard Price, un de ses amis, n’avait décidé de fouiller ses archives pour en sortir un texte posthume – Essai en vue de résoudre un problème de la doctrine des sciences – qui sera publié après lecture devant la Royal Society en 1763.

La petite formule de Tom Bayes permet d’évaluer la pertinence de ce qu’on croit savoir (H) à l’aune de l’information apportée par une observation (O). Elle s’écrit  :

Pr(H|O)=\frac{Pr(H)*Pr(O|H)}{Pr(O)}

A titre d’exemple très actuel, considérons  l’hypothèse H : « le réchauffement moyen de notre planète dépassera les deux degrés d’ici 2070 ». Supposons que sans autre information la probabilité de cette hypothèse est évaluée à 40%. Que si cette hypothèse est vérifiée, l’évènement O (par exemple la fonte de la calotte glaciaire) a une  probabilité de 60% de se réaliser. Que la probabilité de l’évènement O est estimée à 30% en l’absence d’information externe. Alors la formule de Bayes corrige la probabilité (à priori) de l’hypothèse H par le rapport entre la probabilité d’observer O quand H est réalisée par la probabilité de O, soit une probabilité a posteriori de 80%.

Quelques années après la mort de Thomas Bayes, et de façon indépendante, le mathématicien français Pierre Simon de Laplace, redécouvre la formule de Bayes. Il en fait de nombreuses applications, notamment à la mécanique céleste, en prévoyant le mouvement des planètes et de leurs satellites grâce à la première analyse statistique de données astronomiques, à la démographie en travaillant à partir d’échantillons du nombre naissances, de mariages et de décès, à la fiabilité en étudiant les témoignages aux tribunaux, etc.

Au cours des siècles qui suivent, l’intérêt pour cette équation de l’apprentissage statistique semble tomber en sommeil dans le monde académique, malgré un grand nombre d’applications remarquables en ingénierie et en recherche opérationnelle. Sait-on que la plaidoirie de Poincaré pour témoigner de l’innocence de Dreyfus reposait sur la formule de Bayes ? Que celle-ci fut la clé qui permit à Alan Turing de percer le chiffrement des messages cryptés de la machine Enigma employée par l’Allemagne nazie dans ses communications militaires ? Que le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la sécurité de l’aviation civile s’est appuyé sur la formule de Bayes pour orienter les recherches de l’épave de l’Airbus AF447 du vol Rio-Paris abîmé en mer le premier juin 2009 ?

Bayes au secours de l’aviation.

Depuis le tournant du siècle, la formule de Bayes révolutionne aussi la boîte à outils du chercheur : friande de méthodes de simulation, elle surfe sur les vagues successives du raz de marée informatique et aide efficacement à dés-enchevêtrer les réseaux complexes de causes qui apparaissent dans les défis scientifiques en ce début du troisième millénaire. Entre le monde des idées de Platon et le principe d’incertitude d’Heisenberg, Thomas Bayes nous pose également des questions philosophiques : la probabilité est-elle une propriété de l’objet ? Ou relève-t-elle plutôt de l’observateur ? Lui servirait-elle même d’algorithme à penser en l’aidant à quantifier sa connaissance partielle à propos de l’objet ? D’ailleurs, nos neurones ne formeraient-ils pas eux-mêmes des réseaux bayésiens ?

Brève rédigée par Éric Parent (AgroParisTech).

Pour en savoir plus :

  • Le site de la société d’Analyse Bayésienne.
  • J.J. Droesbeke, J. Fine & G. Saporta : Thomas Bayes et son héritage, Chapitre 1 du livre  « Méthodes Bayésiennes en Statistique », Éditions TECHNIP 2011, p. 1-18.
  • The theory that would not die : how Bayes’rule cracked the enigma code, hunted down Russian submarines & emerged triumphant from two centuries of controversy, Yale University Press 2011, 320 p.
  • Science et Vie, La formule qui décrypte le monde, N°1142, Novembre 2012.
  • Société Metron : Search Analysis for the Location of the AF447 Underwater Wreckage. Report to Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la sécurité de l’aviation civile. By L. D. Stone, C. Keller, T. L. Kratzke., J.Strumpfer. 20 January 2011.

Crédits Images : Wikimedia Commons, Metron.

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