Qibla

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La Koutoubia de Marrakech (source : Wikipedia)

1147,  les troupes almohades s’emparent de Marrakech… C’en est fini du règne de la dynastie des Almoravides. La capitale est prise, les figures de l’ancienne dynastie disparaissent.  Pour affirmer son emprise sur la ville, le nouveau pouvoir use d’un symbole plus fort encore : l’orientation choisie pour la mosquée centrale est jugée incorrecte ; les prières des vaincus sont effacées à leur tour. Sur les ruines d’un palais almoravide, les nouveaux maîtres d’une partie du Maghreb et de l’Espagne, ordonnent la construction de l’une des plus grandes mosquées de l’occident musulman : la Koutoubia. Du règne des Almoravides à Marrakech il ne reste que quelques vestiges à proximité de l’ancienne université almohade. Car déterminer la qibla, l’orientation de la Mecque, nécessite des connaissances. Le problème a participé de la mathématisation progressive de l’astronomie arabe qui  a mené à la création d’une nouvelle branche des mathématiques.

La mathématisation du problème de la qibla s’appuie tout d’abord sur la géométrie héritée de l’antiquité grecque. La terre étant assimilée à une sphère, il s’agit de déterminer les caractéristiques d’un triangle, tracé sur cette sphère, dont l’un des sommets A est le lieu de la mosquée à orienter, un autre B la Mecque, et un troisième C le pôle Nord. La qibla est donnée par le grand cercle d’arc AB et l’angle  CAB est ainsi la direction à déterminer.

Triangle sphérique

Triangle sphérique

L’étude de tels triangles nécessite un type de calcul particulier pour mettre en relation angles et longueurs des côtés : la trigonométrie, du grec trigonos, “triangulaire” et métron, “mesure”. À ceci près que les triangles tracés sur la sphère sont un peu spéciaux: regardez donc la figure ci-dessus, rien n’empêche que les trois angles du triangle ABC soient des angles droits!

Pendant plusieurs siècles, l’astronomie mathématique arabe s’est appuyée sur un résultat énoncé dans un ouvrage grec, les Sphériques de Ménélaus, et dénommé pour cette raison “théorème de Ménélaus“.  L’un des commentateurs de cet ouvrage, Abu Nasr Mansur (970-1036), a finalement énoncé  un théorème beaucoup plus simple et efficace : la “loi des sinus“. Cet épisode illustre le rôle important joué par les traductions et commentaires dans les innovations mathématiques.

L'un des grands contributeurs de la trigonométrie, Nâsir ed-Dîn al-Tusi (1201-1274), dans son observatoire à Marâgha (Iran).

L’un des grands contributeurs de la trigonométrie, Nâsir ed-Dîn al-Tusi (1201-1274), dans son observatoire à Marâgha (Iran).

Traduction  par Ishâq b. Hunayn (830-910) de l'Almageste  du Grec Ptolémée

Traduction par Ishâq b. Hunayn (830-910) de l’Almageste du Grec Ptolémée

Le problème de la qibla met aussi en évidence un autre facteur important de la dynamique des mathématiques de cette époque : la rencontre des héritages de la géométrie grecque et du calcul indien. Les travaux d’astronomie indienne qui circulent par la route de la soie contiennent certains outils cruciaux de la trigonométrie, comme la notion de demi-corde, dénommée par les arabes ‘jaib’, signifiant ‘pli’, puis plus tard traduite en Europe par le terme latin pour ‘pli’ : sinus.

En mêlant ces différents héritages, les savants arabes sont parvenus, dès le IXe siècle, à une formule mathématique donnant l’orientation exacte de la qibla en tout point du globe. Cette formule s’est incarnée dans différents instruments au cours de l’histoire : des compas et astrolabes aux applications des smartphones.

Brève rédigée par Frédéric Brechenmacher, Université d’Artois & École polytechnique.

Pour en savoir plus

  • Djebbar, Ahmed, Une histoire de la science arabe. Editions du seuil, 2001.
  • Djebbar, Ahmed, L’algèbre arabe, naissance d’un art.
  • Rashed, Roshdi . D’Alexandrie à Bagdad. Le matin des mathématiciens. Belin-pour la science, 1985
  • King, David A.  The sacred direction in Islam : a study of interaction of religion and science in the middle ages. Interdisciplinary science reviews, 1985.

Crédits Images :

Fig. 1 Wikipedia.

Fig 2. Copie du XIIIe siècle. BNF.

Fig. 3. Miniature du XVe siècle. British Library

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