Pendant des millénaires, la production des semences était le résultat d’un véritable travail de sélection des paysans leur permettant de travailler de manière totalement autonome leurs propres variétés. Avec l’apparition de la profession de semencier pendant la révolution industrielle du XIXème siècle, il s’en est suivi une importante érosion de la diversité génétique des plantes cultivées au point qu’aujourd’hui seules quelques variétés de blé, très proches génétiquement les unes des autres, sont utilisées.
Des agriculteurs se sont regroupés pour défendre leur autonomie dans le choix des semences utilisées et pour cultiver une partie de la diversité perdue. Cette démarche a toujours existé au sein des communautés locales d’agriculture vivrière. Elle se traduit dans les faits par l’existence de réseaux d’échange de semences entre agriculteurs qui permettent la persistance des variétés en dépit de phénomènes d’extinction (problèmes de stockage, catastrophes climatiques, etc.).
Des travaux ethnobotaniques ont montré que ces pratiques sont conditionnées par le réseau relationnel des agriculteurs et par les normes établies au sein de leur communauté. Un modèle mathématique d’évolution dynamique permet d’étudier l’impact du réseau relationnel sur divers indicateurs de préservation de la variété au bout d’un certain nombre de générations : probabilité que la variété soit encore cultivée par au moins un agriculteur, nombre moyen de fermes cultivant encore la variété…
Un réseau est décrit mathématiquement par un graphe qui est défini par la donnée d’un ensemble de nœuds et par la présence ou non d’arêtes reliant les nœuds. Dans notre modèle, une diffusion entre deux nœuds (deux agriculteurs) est possible uniquement s’ils sont reliés par une arête (lien social). Différents types de graphes existent et peuvent rendre compte de structures sociales particulières. Par exemple, certains types de graphes disposent de quelques nœuds centraux (hub) à travers lesquels est réalisée la majeure partie des diffusions. D’autres graphes sont organisés en communauté. Une communauté contient des nœuds fortement connectés à l’intérieur de celle-ci et faiblement avec les nœuds des autres communautés. Une structure spatiale des nœuds peut imposer de ne relier par des arêtes que les voisins.
Le but est de quantifier précisément, à l’aide de simulations lorsque les calculs exacts ne sont plus possibles, l’ impact du type de réseau et de mesurer les risques d’extinction d’une variété. Il a notamment été mis en évidence que lorsque le risque d’extinction est réel, un réseau organisé autour de quelques individus centraux limite le risque d’extinction totale de la variété. Par contre, dans une situation où le risque d’extinction est faible, les réseaux plus équilibrés correspondant à des structures spatiales donnent lieu à une présence plus forte de la variété chez les agriculteurs.
Cette étude s’inscrit dans une réflexion autour de la gestion dynamique à la ferme de la biodiversité cultivée et contribuera à l’élaboration de recommandations auprès des institutions en charge de ces questions (Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, Bioversity International, etc.), ainsi qu’auprès des organisations paysannes.
Brève rédigée par Pierre Barbillon (INRA AgroParisTech) et Mathieu Thomas (INRA AgroParisTech) d’après leurs travaux avec Isabelle Goldringer (INRA ferme du Moulon), Frédéric Hospital (INRA Jouy) et Stéphane Robin (INRA AgroParisTech).
Pour en savoir plus :
- Site du Réseau Semences Paysannes pour la préservation de la diversité.
- Un rapport de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité de Goffaux et al., 2011.
- Article Wikipedia sur la science des réseaux «Network Science » [en anglais].
Crédits Images :
- Isabelle Goldringer, 2008.
- Graphiques des réseaux : P. Barbillon avec le package R igraph.
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