Pour de nombreux animaux de nos côtes, comme chez les moules, les crabes ou encore les bigorneaux, les adultes vivent sur les fonds marins et sont peu mobiles, tandis que les larves (les « bébés ») sont planctoniques et se laissent porter passivement par les courants. Ces larves sont très petites (de l’ordre de 0.2 millimètre) et produites en très grand nombre (plusieurs milliards à chaque ponte). A l’issue de leur vie larvaire (qui dure de quelques heures à plusieurs mois selon les espèces), les larves se sédentarisent si elles rencontrent un habitat favorable : elles seront alors capables de se métamorphoser en adulte ; sinon, elles mourront… Le transport de ces larves par les courants est donc une étape-clef pour la survie de ces populations côtières : il détermine ainsi en partie la distribution des espèces marines. Or il est très difficile, voire impossible, de suivre le devenir individuel de milliards de petites larves dans l’océan… Alors comment faire ?
En utilisant des modèles capables de simuler sur ordinateur des courants marins réalistes, il est possible de suivre les trajectoires simulées d’un très grand nombre de larves planctoniques. Ces modèles sont communément appelés par les océanographes qui les utilisent « modèles couplés bio-physiques ». Ils prennent la forme d’équations décrivant le comportement des populations de larves planctoniques. Ces équations décrivent la combinaison de plusieurs phénomènes : un déplacement dans la direction du courant moyen, l’advection, comme le transport d’une feuille par un cours d’eau, et un déplacement aléatoire, la diffusion, qui a tendance à répartir les larves dans toutes les directions, à l’image d’une goutte d’encre versée dans un verre d’eau.
Ce travail de mise en équations a été complété par une série de simulations numériques qui ont permis de mettre en évidence que le long des côtes atlantiques françaises, les larves avaient des devenirs très différents selon si elles étaient pondues en Manche ou dans le Golfe de Gascogne. Les premières sont en effet toujours transportées vers le Nord-Est, quelle que soit la période de l’année, et quelles que soient les conditions météorologiques. En revanche, les secondes ont tendance à être transportées vers le Nord au printemps et vers le Sud en été, en raison de la variabilité des courants marins selon la saison. Ainsi, au-delà de la description du transport actuel des larves d’organismes marins, ces travaux pourront servir de base pour étudier leur transport futur en réponse au changement climatique, en particulier si les pontes ont lieu plus tôt dans l’année à cause du réchauffement des eaux.
Brève rédigée par Sakina-Dorothée Ayata (Laboratoire d’Océanographie de Villefranche) d’après des travaux réalisés à la station biologique de Roscoff.
Pour en savoir plus
- La série Chronique du plancton réalisée par le CNRS dans le cadre de l’expédition Tara.
- À la pêche au plancton du Grand Nord, CNRS le journal.
- S.-D. Ayata, P. Lazure et E. Thiébaut. How does the connectivity between populations mediate range limits of marine invertebrates? A case study of larval dispersal between the Bay of Biscay and the English Channel (North-East Atlantic) Progress in Oceanography 87 : 18-36 (2010) [En anglais].
- S.-D. Ayata, Importance relative des facteurs hydroclimatiques et des traits d’histoire de vie sur la dispersion larvaire et la connectivité à différentes échelles spatiales (Manche, Golfe Gascogne). Thèse Université Pierre & Marie Curie, UPMC-Paris 6 (2010).
- Les chroniques du plancton.
Crédit image : S.D. Ayata.
c’est très claire , et cela doit nous faire tous prendre conscience ; de la fragilité de notre planète.