Les cartes de géographie ne sont malheureusement pas exactes. Mon atlas contient une carte de l’Europe au 1 : 12 000 000. Je mesure la distance entre Lyon et Palerme, je trouve 8,8 cm, que je multiplie donc par 12 000 000, pour obtenir 1 056 km. Pourtant, le site Distance entre 2 villes m’indique que la vraie distance, mesurée sur la Terre, est de 1 104 km. Peut-être est-ce dû au fait que l’échelle n’est pas exactement 1 : 12 000 000 ? Si je mesure la distance entre Lyon et Oslo sur ma carte, j’obtiens 1 620 km et la vraie distance est de 1 623 km. Entre Lyon et Oslo, l’échelle est presque parfaite alors qu’elle fait perdre une cinquantaine de km entre Lyon et Palerme… Il n’y a pas de carte parfaite dans laquelle on pourrait lire les distances exactes. Alors, que faire ?
Eh bien, on essaye de faire pour le mieux, ou tout au moins pour le moins mal. Il y a de nombreux types de cartes qui s’attachent à représenter fidèlement ceci ou cela, comme la superficie par exemple.
John Milnor est un mathématicien célèbre, qui a entre autres reçu la médaille Fields en 1962, et le prix Abel en 2011. On pourrait croire qu’il est bien éloigné des « mathématiques terrestres » puisque les objets qui l’ont rendu célèbre sont des sphères qu’on qualifie d’exotiques et qui sont de dimension… sept ! Au début de sa carrière, en 1969, il a néanmoins écrit un très joli article sur les cartes de géographie qui contient un théorème, et qui pose une question… toujours non résolue aujourd’hui, 44 ans plus tard !
Disons qu’une carte de géographie est précise à x % près si les distances mesurées sur la carte (en tenant compte de l’échelle) ne diffèrent pas des vraies distances sur Terre de plus de x %. Par exemple, une erreur de 48 km sur les 1 104 km qui séparent Lyon de Palerme donne une précision d’environ 5 %.
Le théorème de Milnor spécifie que s‘il s’agit de cartographier une zone circulaire, par exemple la calotte sphérique au nord d’un certain parallèle, il existe une unique carte qui est plus précise que toutes les autres. Les cartographes l’appellent « la projection azimutale équidistante » et les mathématiciens « l’application exponentielle ».
Voici comment cette carte précise est construite. Dessinez un plan tangent au pôle Nord. Ensuite, vous représentez les méridiens issus du pôle nord par des rayons (qui leur sont tangents au pôle) dans ce plan, mais en prenant garde de bien respecter les distances le long des méridiens. Milnor montre qu’on ne peut pas faire mieux que cela. Il donne d’ailleurs une formule pour la précision de cette carte optimale.
Voici maintenant la conjecture émise par Milnor : considérez un pays “rectangulaire”, limité par deux parallèles et deux méridiens. On suppose que ce pays n’est pas trop grand, par exemple qu’il ne couvre pas plus de 45 degrés en longitude et 30 degrés en latitude. On appelle la superficie de ce pays divisée par la superficie totale de la Terre. Alors, selon Milnor, il devrait exister une carte de ce pays de précision meilleure que . Voyons un exemple. Placez les USA dans un rectangle. Eh bien, ce rectangle couvrira environ soit 1,5 % de la superficie du globe terrestre. Toujours selon Milnor, il devrait exister une carte précise à environ 0,5 %. Il semblerait cependant que les meilleures cartes des USA connues à ce jour ne soient précises qu’à 2 % ! Je ne serais pas étonné que beaucoup de lecteurs soient surpris d’apprendre qu’un « grand pays » comme les USA ne couvre que 1,5 % de la Terre !
Brève rédigée par Étienne Ghys (CNRS et École Normale Supérieure de Lyon).
Pour en savoir plus :
- Étienne Ghys, « Représenter les mondes » — Images des Mathématiques, CNRS, 2010.
- J. Milnor (1969),«A problem in cartography», Amer. Math. Monthly, Vol.76, pp. 1101—1112 [En anglais].
- Le site distance entre 2 villes pour calculer la distance entre 2 villes de France ou autres villes du monde.
- Le site histoire de la cartographie par la Bibliothèque Nationale de France (BNF).
Crédit image : Image des Mathématiques.
très bon site mais un manque d’image et schémas .
En effet, les contraintes des brèves sont telles qu’on n’a pas le droit à trop de figures… Si vous regardez l’article que je cite en référence, il y a beaucoup de figures…
Bien cordialement,
Etienne Ghys
pourquoi y a t’il que de la science i lpourait avoir d’autre suget
Ben, sur un site qui parle de maths et de Terre, il me semble difficile de ne pas parler de science 🙂
Etienne Ghys
à quoi ça sert ces trucs puisqu’on a des gps ?
On n’a peut-être pas besoin de mathématiques pour utiliser le GPS, mais il en faut beaucoup pour le construire. Et ce savoir se perdra si on ne forme pas constamment des mathématiciens capables de l’appliquer.
Je suis bien sûr d’accord avec la réponse de Nils !
J’ajouterais peut-être que parfois il n’est pas interdit de s’intéresser à des choses qui ne servent à rien 🙂
Etienne Ghys
Et c’est sans compter que de toute façon le fait que la Terre ne soit pas sphérique, ce qui donne déjà des erreurs de l’ordre de 0,3%…
Plutot que le site de distance entre 2 villes, ce lien permet de calculer la distance sur l’ellipsoide :
http://www.movable-type.co.uk/scripts/latlong-vincenty.html
Merci pour le site avec les distance sur l’ellipsoïde !
Quant à la remarque sur le fait que la conjecture de Milnor doit être modifiée pour tenir compte du 0,3% d’aplatissement de la Terre, il faudrait y réfléchir avec soin. Un pays comme les USA par exemple ne couvre qu’une petite partie du globe si bien qu’à l’échelle des USA, l’approximation sphérique est probablement bien meilleure que 0,3%.
Bien cordialement,
Etienne Ghys
Bonjour,
juste pour compléter la notion de référentiel :
Aujourd’hui en France (metropolitaine) on utilise 4 référentiel différents (c’est à dire des approximations locales de la forme de la Terre), qui incluent de plus des corrections de la forme patatoide qu’a notre planete (mesuré par variation du champ de gravité).
Ceci permet alors une précision de l’ordre du centimètre dans le mesure de distances (calculée numériquement), ce qui est plus précis que “le GPS” dont le référentiel est global (toute la planète).
Faire une carte revient à transférer une information 3D sur un support 2D, on a donc forcèment une perte, qu’on peut choisir (les distances ne sont plus bonnes, ou les angles ne sont plus bons, ou les aires ne sont plus bonnes, etc. )