Gendarmes, voleurs et… mathématiciens !

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Depuis quelques années, Andrea Bertozzi, professeure renommée pour ses résultats concernant l’analyse des équations aux dérivées partielles de la mécanique des fluides, anime un groupe de chercheurs de l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles) rassemblant mathématiciens, anthropologues et… policiers. Leur but : comprendre et prévenir l’activité criminelle dans une ville comme Los Angeles. Cette recherche très originale s’appuie sur une forte collaboration avec les services de police de la ville, le fameux LAPD, et les prévisions issues des modèles mathématiques peuvent être confrontées aux très nombreuses données dont disposent ces services.

La description adoptée fait intervenir deux quantités qui varient en fonction du temps et de l’espace : la densité locale de criminels (autrement dit le nombre de bandits au m2 !) et l’attractivité des différents sites de la ville. Ce dernier nombre évalue l’attrait d’un site donné pour les malfrats. Ces deux quantités s’affectent mutuellement, ce qui conduit à un système de deux équations aux dérivées partielles non-linéaires. Les malfaiteurs se déplacent en suivant une marche aléatoire biaisée par le fait qu’ils sont bien sûr attirés par les sites de plus grande… attractivité. En retour, l’attractivité d’un site est modifiée : l’occurrence d’un délit sur un site y renforce l’attractivité. Celle-ci dépend aussi de l’évolution du voisinage. Les auteurs appellent ce phénomène l’« effet des carreaux cassés » : les marques d’un cambriolage incitent à commettre d’autres forfaits à proximité. Les équations obtenues sont de type « convection-diffusion », mais le couplage entre les deux inconnues induit des comportements très spécifiques.

En fait, ces équations du crime partagent certaines propriétés de structure avec des modèles décrivant la dynamique de certaines bactéries capables d’émettre des signaux pour indiquer la présence de nourriture. Ce phénomène, le chimiotactisme, peut amener à la formation d’agrégats avec une très forte concentration de bactéries. De manière similaire, dans certaines situations, les équations proposées par les chercheurs de l’UCLA mènent à la formation de « points chauds », des zones caractérisées par une forte concentration de criminels.

Etablir ainsi une carte du crime, c’est intéressant. Mais l’équipe d’Andrea Bertozzi va plus loin et cherche aussi à éclairer les forces de police sur le choix de stratégies. L’intervention des forces de l’ordre peut être introduite dans le système d’équations. Trois stratégies ont été testées : une répartition totalement aléatoire, une action ciblée sur les points chauds, ou une intervention plus périphérique. Si agir au hasard n’est pas très payant, il semble que l’efficacité des stratégies plus ponctuelles dépende de la nature même du point chaud : dans certains cas il est seulement déplacé, dans d’autres il est très sensiblement atténué.

L’intervention policière peut ensuite s’interpréter comme un problème de minimisation sous contraintes : à chaque instant, réduire l’activité criminelle avec des ressources en personnel fixées. Suivant les configurations (état de la criminalité, forces de police en présence) différents scénarios sont observés : la réduction globale de la présence criminelle peut s’accompagner de points chauds très localisés avec une concentration très élevée, ou bien la ville peut atteindre une situation homogène où l’activité délictueuse est réduite. Pour aller vers une description toujours plus réaliste, une piste sera de prendre en compte de manière dynamique les interactions entre les stratégies des gendarmes et des voleurs avec des méthodes inspirées de la théorie des jeux.

Alors, ministres de l’Intérieur : soutenez la recherche en mathématiques !

Brève rédigée par Thierry Goudon (Inria Sophia Antipolis).

Pour en savoir plus :

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