Le Pêcheur de la Lune

crab3

Le Crabe qui jouait avec la mer, illustration originale de R. Kipling.

« — Kun ? dit le Pêcheur de la Lune.

— Payah kun, dit le Doyen des Magiciens. Fais en sorte désormais de tirer la Mer deux fois par jour et deux fois par nuit à jamais afin que les pêcheurs de Malaisie n’aient pas à pagayer. »

Comme Kipling le raconte aux enfants, la Lune joue un rôle prédominant dans le phénomène des marées. Sa force d’attraction provoque deux renflements diamétralement opposés dans l’océan. Si on s’en tenait là, on pourrait affirmer que la marée basse se produit à peu près au même moment dans deux ports situés sur le même méridien. Or, c’est loin d’être le cas.

C’est Laplace, au 19ème siècle, qui a compris pourquoi le phénomène est plus complexe. La théorie de Newton était statique : elle faisait comme si l’océan se soulevait ou s’abaissait gentiment, en réponse aux forces d’attraction. Laplace nous explique qu’il faut penser aux marées comme un phénomène dynamique.

Imaginez par la pensée une Terre immobile entourée par un océan, sans aucun continent, sans Lune et sans Soleil. Soulevez (toujours par la pensée !) une partie de l’océan et lâchez tout à coup. Que se passe-t-il ? Eh bien, vous allez engendrer une immense vague, un tsunami, qui va se déplacer autour de la Terre. On peut même calculer que cette vague voyage à environ 700 km/h. L’océan entre alors dans une sorte d’oscillation, qui sera probablement amortie par les frottements internes et finira par se calmer.

Maintenant, ajoutez la Lune (et le Soleil !). En un lieu donné sur la Terre, on peut penser aux forces d’attraction de Newton comme une espèce de pulsation, comme si toutes les 12 heures et 25 minutes, un géant soulevait l’océan. C’est l’interaction entre cette pulsation lunaire et les oscillations naturelles de l’océan qui crée les marées : c’est un phénomène dynamique.

Pensez à ces passerelles qui se mettent à osciller dangereusement lorsqu’on les traverse en cadence. Il s’agit du phénomène de résonance bien connu des physiciens. Les oscillations de l’océan, même sans forces d’attraction, sont extrêmement difficiles à décrire pour deux autres raisons encore : elles dépendent de la profondeur mais aussi de la géométrie des côtes. En revanche, les forces newtoniennes sont plus faciles à comprendre. Le phénomène qui en résulte est complexe et pour le décrire, il nous faut tout à la fois utiliser des théories abstraites de l’analyse des équations aux dérivées partielles, des méthodes numériques subtiles, mais aussi les observations des marégraphes.

Brève rédigée par Frédéric Chambat (École Normale Supérieure de Lyon) et Étienne Ghys (CNRS et École Normale Supérieure de Lyon).

Brèves connexes :

  • « Quand la mer monte ! » sur le phénomène des marées, Mathématiques pour la planète Terre 2013.
  • « Anatomie d’un figure fausse » sur le phénomène de résonance, et fournit la figure qui devrait illustrer la présente brève, Mathématiques pour la planète Terre.

Pour en savoir plus :

  • M. Revault d’Allonnes, La marée océanique, Vuibert, Paris, 2005.

Crédit image : Wikimedia commons.

2 Commentaires

  • Vincent Parbelle says:

    Bonjour,
    A propos de : “Anatomie d’une figure fausse”
    La figure doit être tellement fausse que mon navigateur ne trouve pas la page ^_^
    Merci pour ce blog !

  • Elle sera publiée… demain mercredi !
    Désolé pour ce contre-temps, et bonne lecture !

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*