Il y a déjà bien longtemps que des auteurs de science-fiction ont imaginé des appareils microscopiques circulant dans le corps et commandés par l’homme. Construire une telle machine auto-propulsée et commandée serait révolutionnaire pour la médecine, puisqu’elle permettrait d’explorer le corps de manière très précise et d’apporter par exemple des médicaments directement au bon endroit.
Les scientifiques se sont évidemment penchés sur la question, mais la compréhension de la nage des spermatozoïdes, bactéries et autres micro-organismes présente des difficultés théoriques importantes. En effet, la natation à cette échelle se heurte à des obstructions qui en diminuent singulièrement son efficacité. Du fait de leur petite taille, les micro-organismes qui se déplacent dans l’eau ont la sensation qu’ils évoluent dans du miel, c’est-à-dire dans un fluide très visqueux. Ainsi, dans un tel régime, les forces inertielles sont négligeables devant les forces visqueuses.
Du point de vue de la modélisation, à cette échelle l’écoulement du fluide est ainsi décrit par des équations dites de Stokes, une version simplifiée des fameuses équations de Navier-Stokes. Elles ont une particularité extrêmement importante du point de vue mathématique : elles sont linéaires, c’est-à-dire que la modification d’une grandeur physique (pression, vitesse, etc.) entraîne une modification proportionnelle de toutes les autres.
La natation à l’échelle microscopique se développe à partir des années 1950 avec le travail de G. Taylor. Celui-ci étudie le déplacement de spermatozoïdes ayant des flagelles infinis. Plus tard, en 1976, la contribution de E. M. Purcell va révolutionner le sujet. Il explique pourquoi certaines stratégies utilisées à l’échelle humaine pour nager ne permettent pas le déplacement d’organismes microscopiques. Ce résultat mathématique est connu sous le nom du théorème de la coquille Saint-Jacques. Ce théorème établit que ces fameux coquillages qui nagent en ouvrant et fermant leur coquille ne peuvent pas se déplacer dans des milieux dominés par la viscosité : si l’ouverture de la coquille lui permet de se déplacer, sa fermeture la ramène à sa position initiale dans le cas d’un tel fluide visqueux, causant un déplacement nul. Pour qu’une déformation périodique de la coquille provoque un déplacement effectif, un cycle de plus de deux mouvements est nécessaire.
Récemment, d’autres mathématiciens se sont aussi penchés sur ce sujet. Ils ont notamment porté leurs efforts sur un problème qui a mobilisé la communauté scientifique depuis les années 1960 : la présence de parois autour du fluide affecte-t-elle la mobilité des micro-organismes ? De nombreuses études biologiques (par exemple celle de Rothschild) traitent de cette question. Les expériences pratiquées sur des micro-organismes particuliers laissent à penser que le bord de l’environnement pourrait avoir des effets attractifs sur le micro-nageur. Dernièrement, des travaux mathématiques basés sur la théorie du contrôle ont contribué de manière significative à décrire les effets des bords sur la mobilité d’un micro-organisme. Ils ont montré que la présence d’une paroi n’affecte pas la mobilité du nageur. Au contraire, elle augmente le nombre de directions accessibles. Cependant, certains des phénomènes responsables de la tendance des micro-organismes à s’agglutiner sur le pourtour de leur milieu restent inexpliqués. Une raison probable est que la présence d’un mur demande au micro-organisme plus d’efforts pour nager dans certaines directions plutôt que dans d’autres.
Brève rédigée par Laetitia Giraldi (UMPA, ENS de Lyon) d’après ses travaux avec F. Alouges (CMAP, Ecole Polytechnique) et D. Gérard-Varet (Université Denis Diderot Paris 7 ).
Pour en savoir plus :
- D. Gérard-Varet et L. Giraldi, « Rough wall effect on micro-swimmers », Preprint hal-00867599 [En anglais].
- F. Alouges et L. Giraldi, (April 2013), « Enhanced controllability of low Reynolds number swimmers in the presence of a wall », Acta Applicandae Mathematicae [En anglais].
- La page de François Alouges sur la natation à faible nombre de Reynolds.
- E. M. Purcell, « Life at Low Reynolds number » [En anglais].
- L. Rothschild, (1963), « Non-random distribution of bull spermatozoa », Nature, [En anglais].
- Brèves connexes : « Navier et ces drôles d’oiseaux ».
Crédits Images : Alvinet.com
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