Navier et ces drôles d’oiseaux

Le vol d’oiseaux, un défi pour les mathématiciens.

Claude Louis Marie Henri Navier est né le 10 février 1785 à Dijon. Ce mathématicien, ingénieur du Corps des ponts et chaussées, a contribué par ses travaux en mécanique des fluides à la compréhension du vol des oiseaux, bien avant la conception par l’Homme d’objets volants motorisés.

Quelque temps avant la naissance de Navier, le mathématicien Leonhard Euler  établit de façon magistrale un système d’équations qui porte aujourd’hui encore son nom. Celui-ci décrit l’écoulement d’un fluide tel que l’air.

L’encyclopédiste D’Alembert s’intéressa aussi à cette question de modélisation, et parvint à cette conclusion troublante (le paradoxe de D’Alembert) : «Je ne vois donc pas, je l’avoue, comment on peut expliquer par la théorie, d’une manière satisfaisante, la résistance des fluides. Il me paraît au contraire que cette théorie, traitée et approfondie avec toute la rigueur possible, donne, au moins en plusieurs cas, la résistance absolument nulle ; paradoxe singulier que je laisse à éclaircir aux Géomètres» (paradoxe énoncé en toute généralité à la suite des travaux de Barré de Saint-Venant). Or sans résistance, aucun vol possible : comment font donc les oiseaux pour voler ? Ce résultat mathématique nous invite à revoir le modèle de départ (les équations d’Euler) afin de “permettre mathématiquement aux oiseaux de voler”.

La question du vol des oiseaux fut de nouveau posée quelques années plus tard par l’Académie des Sciences. On assista alors à un débat sans fin, des expériences multiples…. Certains émirent l’hypothèse d’un développement énorme des pectoraux chez les oiseaux par rapport à ceux des mammifères. Navier a d’ailleurs écrit un rapport sur le vol des oiseaux lors de l’examen d’un mémoire sur ce sujet proposé en 1829 à l’Académie des Sciences. Il y discute de mesures, fait des analogies et avance parfois des hypothèses quelque peu discutables (voir le texte de J.M.A Dubrochet et les travaux du physiologiste Français E.J. Marey).

En fait, il a fallu attendre près d’un siècle pour que le paradoxe de D’Alembert soit élucidé. Grâce à une modification essentielle des équations d’Euler (idée qu’aurait également eue Barré de Saint-Venant) et qui prend en compte les frottements internes au fluide, Navier obtint un nouveau modèle qui permettait (enfin) aux oiseaux de voler (mathématiquement parlant). Ce modèle est également attribué à l’influent irlandais George Gabriel Stokes, et porte aujourd’hui le nom d’équation de Navier-Stokes. Elle permet notamment d’expliquer ce que l’on appelle la portance et la traînée d’un objet immergé dans un fluide dit «visqueux» (que l’air soit visqueux semble contre-intuitif, mais c’est une autre question liée au phénomène de couches limites et que nous laisserons de côté). On pourra consulter les magnifiques clichés pris par E.J. Marey, également précurseur de la soufflerie aérodynamique pour visualiser, à l’aide de fumée, les flux d’air qui rencontrent un obstacle.

On utilise aujourd’hui les équations de Navier-Stokes non seulement pour essayer de mieux comprendre la complexité du vol des oiseaux, mais aussi pour analyser la turbulence dans les rivières et l’écoulement des masses d’air et des océans. Elles sont aussi utilisées dans les prédictions météorologiques avec un terme supplémentaire qui tient compte de la rotation de la Terre (grâce aux travaux de G.G. Coriolis qui était proche de Navier). Elles sont également au centre d’un des problèmes du prix du millénaire proposés à la sagacité des mathématiciens du XXIe siècle par le Clay Mathematical Institute.

Brève rédigée par Didier Bresch (Université de Savoie).

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Crédits images : Françoise Delestrade.