Boussinesq, un savant atypique

Joseph Valentin Boussinesq (1842-1929).

Parcours atypique que celui de Joseph Valentin Boussinesq (1842-1929), qui n’est pas issu des Grandes Écoles de la République comme l’École Polytechnique, contrairement aux grands savants de son temps tels que Augustin Louis Cauchy (1789-1857), Navier (1785-1836), Adhémar Barré de Saint-Venant (1797-1886) ou Poincaré (1854-1912). D’origine provinciale et modeste, il commença sa carrière comme professeur de collège à Agde.

Son mémoire à l’université de Montpellier attira l’attention de Barré de Saint-Venant, un des plus grands mécaniciens français de l’époque qui devint son mentor et qui le lança dans le monde académique. Après avoir occupé un poste à Lille, Boussinesq fut élu professeur à l’Académie des Sciences et à la Sorbonne, où lui fut d’ailleurs attribuée la chaire de Poincaré. Il écrivit des mémoires parfois fort longs, les plus monumentaux dépassant les 600 pages, et aux titres souvent savoureux : «Théorie de l’intumescence liquide, appelé onde solitaire ou de translation, se propageant dans un canal rectangulaire», «Théorie des ondes et des remous qui se propagent le long d’un canal rectangulaire horizontal, en communiquant au liquide contenu dans ce canal des vitesses sensiblement pareilles de la surface au fond». Il développa notamment des modèles décrivant la propagation des vagues qui font encore l’objet de nombreuses recherches aujourd’hui.

En particulier, Boussinesq établit entre 1871 et 1877 l’équation qui régit la propagation des vagues en eau peu profonde, comme par exemple à la surface d’un canal. Une équation redécouverte en 1895 par les néerlandais D. J. Korteweg et G. de Vries, qui porte désormais leur nom. L’équation de Korteweg-de Vries donc, admet une solution particulière appelée «onde solitaire».

Onde solitaire sur le canal de l’union (Scott Russell Aqueduct) près de l’université Heriot-Watt, 12 juillet 1995.

Cette vague si particulière fut l’objet de controverses pendant des décennies après sa description par l’écossais John Scott Russell. Ingénieur naval, Russell observa en effet l’onde solitaire pour la première fois en 1834, sur un canal près d’Édimbourg : elle semblait tellement stable qu’il put la poursuivre à cheval sur plusieurs kilomètres ! En 1877, Boussinesq donna une preuve heuristique et très novatrice de la stabilité de l’onde solitaire. En langage moderne, on dirait qu’il fit appel à un principe variationnel utilisant des invariants de l’équation. Pour en donner une idée plus précise, citons ses propres mots : «Le volume total d’une intumescence et son énergie ne sont pas les seules intégrales qui restent constantes pendant le mouvement, et qui caractérisent ainsi chaque intumescence. […] l’onde solitaire est, parmi toutes les intumescences douées d’une égale énergie, celle pour laquelle l’intégrale que j’ai appelée moment d’instabilité a sa plus petite valeur.»

Ce n’est qu’un siècle plus tard (en 1972) que le mécanicien des fluides britannique Brooke Benjamin établit une démonstration rigoureuse de la stabilité de l’onde solitaire, grâce précisément au moment d’instabilité de Boussinesq.

 

Brève rédigée par Jean-Claude Saut (Université Paris sud Orsay).

Pour en savoir plus :

  • Olivier Darrigol, World of flows : A history of hydrodynamics from the Bernoullis to Prandtl, Oxford University Press 2005 [En anglais].
  • Brèves à venir concernant Benjamin, Korteweg et Saint-Venant.

Crédits images : Wikimedia Commons, Dugald Duncan/Heriot-Watt University.

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