La dynamique des fluides regorge de phénomènes remarquables, à l’instar des étonnantes ondes solitaires se propageant sans déformation à la surface des canaux ou bien encore des ondes de choc qui se forment à l’avant des avions supersoniques et qu’on peut entendre au sol. Ces «ondes» correspondent en fait à des états stables du fluide (l’eau ou l’air) : elles ne sont pas sensiblement modifiées par les inévitables perturbations dues par exemple au vent à la surface de l’eau ou aux vibrations de l’avion. Il existe néanmoins des situations beaucoup moins stables.
Si on superpose deux couches de fluide, séparées initialement par un plan et animées de vitesses différentes, la configuration de cisaillement ainsi obtenue est très instable : du fait d’infimes perturbations, la surface qui sépare les deux masses de fluide développe rapidement des formations en rouleaux, et les deux fluides s’enroulent l’un dans l’autre. On s’éloigne donc très vite de la configuration plane de départ, sans jamais y revenir par la suite. Cette instabilité fut identifiée au XIXème siècle par Lord Kelvin et Hermann von Helmholtz et s’observe assez couramment dans l’atmosphère.
Comment explique-t-on ces phénomènes de stabilité ou d’instabilité ? Mathématiquement parlant, les équations qui régissent l’évolution d’un fluide sont loin d’avoir livré tous leurs mystères. On dispose toutefois, un peu miraculeusement, de quelques solutions explicites (c’est-à-dire données par une formule à base de fonctions dites élémentaires et d’intégrales) qui permettent de décrire les ondes solitaires, les ondes de choc ou encore le cisaillement de deux couches de fluide. Ce sont bien sûr des solutions idéalisées. Pour savoir si le phénomène correspondant a des chances d’être observable, il faut déterminer si une perturbation initiale a tendance à s’atténuer ou à s’amplifier. Selon le cas, on parlera de stabilité ou d’instabilité.
En mathématiques, de très nombreux travaux sont consacrés à la stabilité des solutions d’équations différentielles : le problème de la stabilité du système solaire est emblématique en la matière, et les premières méthodes efficaces remontent à Lyapunov. Des questions tout à fait analogues se posent pour la dynamique des fluides, qui recèle de nombreux phénomènes instables: parmi eux, on trouve le cisaillement et les solutions particulières correspondantes, qu’on appelle nappes de tourbillon. Cependant, certains effets comme la tension de surface de l’interface séparant les deux fluides, la compressibilité du fluide ou bien encore la présence d’un champ magnétique peuvent stabiliser l’évolution des nappes de tourbillon : une petite perturbation initiale de l’interface ne peut alors pas croître trop vite. L’analyse mathématique permet ainsi de construire rigoureusement des nappes de tourbillon qui sont proches de la configuration plane.
Brève rédigée par : Jean-Francois Coulombel (CNRS et Université de Nantes), d’après ses travaux avec Paolo Secchi.
Pour en savoir plus :
- S. Chandrasekhar (1981) “Hydrodynamic and hydromagnetic stability”, Dover. [En anglais]
- J.-F. Coulombel et P. Secchi (2008) “Nonlinear compressible vortex sheets in two space dimensions”, Annales Scientifiques de l’Ecole Normale Supérieure. [En anglais]
- Animations sur cette page du laboratoire d’Astrophysique de l’université de Chiba. [Explications en anglais ou japonais]
Crédits images : Wikimedia Commons / Brocken Inaglory, Samuel Kokh et
Frédéric Lagoutière.
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