Quand les cellules font bloc

Dictyostelium discoideum

Agrégation de dictys (dictostelium discoideum).

L’agrégation d’organismes unicellulaires en un organisme multicellulaire a probablement constitué une des étapes les plus cruciales dans l’évolution des espèces vivantes. Pour mieux comprendre ce phénomène d’agrégation, on peut s’intéresser aux divers moyens dont disposent les cellules pour communiquer entre elles. Nous allons nous intéresser ici à la chimiotaxie, phénomène par lequel un organisme se dirige sous la stimulation d’un signal chimique présent dans l’environnement. Dictyostelium discoideum, souvent appelé dicty, est une (myx) amibe unicellulaire que l’on rencontre communément dans la nature. Les dictys sont sujets à une chimiotaxie en présence d’une molécule appelée adénosine monophosphate cyclique (AMPc). Durant leur vie, ces amibes se déplacent aléatoirement pour chercher des bactéries dont elles se nourrissent. Mais, en condition de pénurie de nourriture, elles émettent elles-mêmes l’AMPc qui les attire.

Le système de Keller-Segel est un modèle mathématique très simplifié qui permet de rendre compte de ce phénomène. Il prend en compte la diffusion des cellules ainsi que l’attirance vers l’AMPc émis par les cellules elles-mêmes. Il s’agit d’un système couplé d’équations aux dérivées partielles. On peut s’attendre à un effet de concentration des amibes et c’est effectivement ce qui se produit la plupart du temps. Mais il a été constaté expérimentalement que si l’on ne dépose pas assez d’amibes sur une boîte de Petri, la propension à s’étendre pour trouver de la nourriture l’emporte sur la tendance à s’agréger du fait de l’émission d’AMPc.

Ces expériences, ainsi que des simulations numériques, montraient que les amibes s’agrègent effectivement au-dessus d’une certaine masse alors qu’elles continuent de s’étendre en dessous d’un autre seuil. Une série de travaux mathématiques récents a permis de montrer qu’il existe en fait une masse critique en dessous de laquelle les dictys s’étendent et au-dessus de laquelle elles s’agrègent. On peut même décrire le comportement en temps long de la colonie en utilisant la théorie mathématique des flots de gradient. Cette masse critique est égale à 8Π. Si cette valeur de la masse critique ne fait pas forcément sens pour les biologistes, il s’avère que les systèmes de type Keller-Segel constituent une formidable brique élémentaire pour construire des modèles pertinents plus complexes dans lesquels une agrégation se produit (méiose, angiogenèse, embryogenèse, etc.) et qu’être capable de calculer cette constante n’est que la partie émergée de l’iceberg qu’ont construit les mathématiciens pour mieux comprendre la dynamique de ce système.

Dictyostelium discoideum

Cycle de vie de dictyostelium discoideum.

Ce phénomène d’agrégation est fondamental dans la survie des dictys ; en effet, lors d’un cycle normal, ces amibes s’agrègent pour former un organisme multicellulaire capable de déterminer un gradient de température ou d’humidité. Il rampe sur le sol à la recherche de conditions favorables. Ce pseudo-plasmoïde se transforme alors en une sorte de champignon avec un pied et des spores, qui s’élève de quelques millimètres avant que les spores ne soient emportées par le vent pour coloniser un nouvel environnement. Les 20% d’amibes qui se retrouvent dans le pied du champignon se sacrifient pour la survie du reste de la colonie. Ceci constitue un excellent exemple de comportement social et de coordination émergente pour la survie de l’espèce.

Brève rédigée par Adrien Blanchet (GREMAQ, Toulouse School of Economics).

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Crédits images : Wikimedia commons.

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