Avec ses 100 milliards de neurones chez l’homme, le cerveau est sans doute l’objet le plus complexe jamais étudié. Chaque neurone est un processeur électro-chimique complexe, souvent en interaction avec plus de 10 000 autres. Ces neurones calculent par impulsion : l’information véhiculée n’est pas une valeur analogique ou binaire mais un événement dont l’occurrence (ou non) constitue l’atome d’information. Par rapport au codage binaire, ce n’est donc pas le fait qu’il y ait un 0 ou un 1 mais le moment où le 1 arrive qui importe. À l’échelle d’un réseau de neurones, ce codage se traduit par des phénomènes temporels d’une grande richesse. Si les paradigmes de calcul observés diffèrent de l’informatique des ordinateurs, ils relèvent de la même science qui décrit le traitement de l’information sous forme d’algorithmes exprimés à travers un codage (ou langage) et implanté sur une machine.
De ces paradigmes de calcul émergent des fonctions cognitives à l’échelle des différentes zones du cerveau : se localiser dans l’espace ou le temps, reconnaître la catégorie d’un objet (animal, nourriture, etc.), sélectionner une action et planifier un geste. Le défi est alors d’étudier ce système complexe dans sa globalité. On se propose de le faire en créant un modèle informatique qui va rassembler nos connaissances relatives aux propriétés fonctionnelles de ce système de systèmes. Puis on le confronte à des expériences qui peuvent être numériques, quand on teste le comportement du modèle, par exemple dans une situation de survie au sein d’un univers virtuel, ou robotiques, quand le système est implanté dans un système mécanique incarné dans la réalité.
Prenons le début du système visuel (de la rétine à ce qui se passe dans la partie arrière et inférieure du cerveau). On y détecte des événements visuels, en faisant interagir des opérateurs de calcul de mouvement, et des détecteurs statistiques rapides (mais imprécis) d’événements visuels. Le cortex et le thalamus échangent des informations en boucle à partir de ces entrées pour analyser ces informations. Cela permet de tester différentes hypothèses perceptives et de les confronter aux connaissances a priori que possède le cerveau. Dans ce cas, il s’agit de détecter les proies ou prédateurs que la planète met à notre portée. Notre modèle informatique reproduit ces mécanismes pour mieux étudier leurs fonctionnements.
Sur la première vidéo, on voit la sortie d’un calcul de mouvement effectué par les cellules standard de la rétine (cellules de la voie magno-cellulaire) qui est relayée par les noyaux du centre du thalamus (core) et les cellules non-standard qui réagissent automatiquement à des certains types de mouvements (dangereux, inattendus). Le thalamus va filtrer cette information pour laisser passer au cortex (et donc aux traitements ultérieurs) la plus importante, selon le contexte (ici le cortex a la complexité de celui d’une grenouille). On dispose ainsi d’un mécanisme interactif d’alerte et d’analyse des différents événements visuels, permettant de fixer l’attention sur ce qui est le plus vital. La position de la cible est représentée par un point vert et sa zone par les points jaune et bleu. En rouge, on compare avec ce qu’un sujet humain choisit comme fixation.
Brève rédigée par Frédéric Alexandre (Equipe Mnémosyne de l’Inria Bordeaux Sud-Ouest), Carlos Carvajal (Equipe Mnémosyne de l’Inria Bordeaux Sud-Ouest), Thierry Viéville (Equipe Mnémosyne, Inria Sophia-Antipolis).
Pour en savoir plus :
- Au sujet de la modélisation du cerveau (page de l’équipe Mnémosyne),
- La grenouille gobe t’elle aussi les cailloux ? Une introduction aux neurosciences computationnelles.
- Un cerveau artificiel, c’est pour demain. Article Interstices.
Crédits Images : Nicolas Rougier, Carlos Carvajal.