Des embouteillages dans nos neurones

Route en (re)construction

Route en (re)construction.

Dans nos cellules, et en particulier dans nos neurones, des molécules munies de jambes marchent le long de filaments, pour transporter matériaux et organites à l’intérieur de la cellule. Or, il a été observé dans certaines maladies neuronales de type Alzheimer que ces molécules formaient des embouteillages. D’où l’intérêt de comprendre comment est organisé le transport intracellulaire.

Imaginez une autoroute avec quelques dizaines de voies de circulation en parallèle, sur laquelle on autoriserait les véhicules à circuler dans les deux sens ! Cela créerait rapidement des accidents, ou au mieux des embouteillages. Or, c’est à un tel défi qu’est confrontée la cellule. L’enjeu est de comprendre comment le trafic peut être efficace dans ces conditions. Quel est le code de la route dans un tel système ?

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Il pourrait y avoir, par exemple, des interactions entre les molécules marcheuses, de façon à former spontanément des voies de circulation qui regrouperaient les molécules allant dans le même sens. Un tel scénario ne peut pas être exclu, mais pour l’instant, on n’a pas trouvé expérimentalement d’interactions suffisantes entre ces molécules pour produire un tel effet. Il y a sans doute un autre ingrédient à trouver.

Nous avons exploré un autre scénario, basé sur l’observation suivante : les filaments sur lesquels les molécules marcheuses se déplacent polymérisent et dépolymérisent constamment. C’est comme si les autoroutes sur lesquelles se déplaçaient les véhicules étaient détruites et reconstruites sur des échelles de temps similaires à celles de formation des embouteillages. Lorsque le filament dépolymérise, les molécules marcheuses se détachent, diffusent dans le cytoplasme environnant et se rattachent plus loin.

Transport pathologique (organites immobiles en blanc)

Transport pathologique dans un neurone (organites immobiles en blanc).

 

Cet effet peut être modélisé de façon simplifiée par un automate cellulaire. Les filaments sont représentés par des successions de cases, des cases que l’on supprime et restaure aléatoirement. Quant aux molécules, elles sautent d’une case à l’autre et parfois se décrochent (en particulier quand un morceau du filament manque) pour diffuser dans l’espace environnant. Comme le neurone est un milieu très encombré, elles ne peuvent cependant pas beaucoup s’éloigner du filament. Le modèle complet permet de déterminer à quel endroit elles se raccrocheront un peu plus tard sur le filament.

En l’absence de dynamique du filament, de gros embouteillages se forment et le transport est fortement inhibé. En revanche, pour certains taux de suppression / restauration, un état de trafic efficace est obtenu, dans lequel la formation d’embouteillages est empêchée dynamiquement.

transport-normal

Transport normal dans un neurone (organites mobiles en couleur).

La cellule pourrait utiliser ce paradoxe selon lequel c’est en détruisant temporairement la route qu’on améliore le trafic ! Certaines expériences menées sur des neurones montrent en effet un couplage entre dynamique du réseau de filaments et transport. Un couplage dont il nous reste encore beaucoup à comprendre.

Brève rédigée par Cécile Appert-Rolland (Univ. Paris-Sud) d’après ses travaux réalisés en collaboration avec Ludger Santen et Max Ebbinghaus (Univ. Sarrebruck).

Pour en savoir plus:

  • La page de C. Appert-Rolland.
  • M. Ebbinghaus, C. Appert-Rolland, L. Santen : Bidirectional transport on a dynamic lattice, Phys. Rev. E 82 (2010) p 040901, arXiv:0912.3658 [En anglais]
  • M. Ebbinghaus, C. Appert-Rolland, L. Santen : Particle interactions and lattice dynamics: Scenarios for efficient bidirectional stochastic transport?, J. Stat. Mech. (2011) P07004, hal-00714724, arXiv:1103.3658 [En anglais]
  • O.A. Shemesh and M.E. Spira : Paclitaxel induces axonal microtubules polar reconfiguration and impaired organelle transport: implications for the pathogenesis of paclitaxel-induced polyneuropathy, Acta Neuropathologica (2010) 119 (2) pp.235-248 [En anglais] (voir les vidéos associées à l’article).
  • O.A. Shemesh and M.E. Spira : Hallmark cellular pathology of Alzheimer’s disease induced by mutant human tau expression in cultured Aplysia neurons Acta Neuropathologica (2010) 120 (2) pp.209-222 [En anglais] (voir les vidéos associées à l’article, en particulier S4 et S5).

Crédits images : Wikimedia Commons/O.A. Shemesh et M.E. Spira.

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