Des fractales pour voir le temps s’écouler…

Le cadran solaire digital.

Une des façons les plus simples de mesurer le temps est de repérer, au cours de la journée, l’ombre d’un bâton (appelé gnomon) planté sur le sol. Depuis l’Antiquité, les hommes utilisent ce procédé pour mesurer le temps ou tout du moins repérer le milieu de la journée (la longueur de l’ombre du bâton atteint alors un minimum, le soleil est au zénith). Durant l’Egypte antique sont d’ailleurs érigés de gigantesques gnomons : les obélisques.

Un des problèmes est que le gnomon est une horloge très imprécise, surtout très difficile à étalonner car l’heure indiquée sur le sol dépend de l’orientation du sol…

Pour y remédier, l’idée naturelle est de changer l’orientation du sol ! Plus exactement de poser une plaque (le cadran) avec un angle donné sur laquelle on pourra lire la projection de l’ombre du gnomon. Il est alors possible de retrouver l’heure légale à partir de l’heure solaire affichée sur le cadran solaire en prenant en compte une correction de longitude, la variation annuelle de vitesse de rotation apparente du Soleil.

Le mouvement de l’ombre sur un cadran solaire évoque la géométrie classique, pleine de lignes droites, de figures régulières et de courbes lisses.

Or, récemment on a compris que dans la nature ce ne sont pas forcément les formes régulières qui dominent. «Quelle est la longueur du fleuve Vistule ?», demandait dans des années 1950 le mathématicien Hugo Steinhaus. On trouve que la réponse dépend dramatiquement de l’échelle utilisée : «La rive gauche (…), lorsque mesurée avec une précision de plus en plus importante, fournirait des longueurs dix, cent ou même mille fois plus grandes que la longueur mesurée sur la carte scolaire», disait-il. Et il conclut que la plupart des courbes dans la nature ont une longueur infinie. Une observation qui s’applique aussi à des paysages montagnards, des nuages, des éclairs, des cascades, et encore beaucoup d’autres objets naturels. De leur côté, des mathématiciens ont imaginé beaucoup d’objets géométriques tordus voire bizarroïdes du point de vue de la géométrie classique. Sous l’impulsion de Benoît Mandelbrot, ces formes fracturées sont devenues un domaine de recherche mathématique à part entière. Ainsi le mot «fractale» a vu le jour en 1975.

Voici un résultat de la théorie, dû à K. Falconer en 1987 : pour n’importe quel ensemble de figures, il existe un objet dont l’ombre projetée sur un cadran produira, selon la direction de la lumière, toutes ces figures.

Avec ce résultat mathématique, on peut donc imaginer un cadran solaire numérique : un appareil sans aucun mécanisme, sans alimentation électrique, sans aucune partie qui bouge, seulement un ensemble de masques qui donnent des ombres en forme de chiffres. Et ces chiffres affichent l’heure en fonction de la position du soleil… Un rêve de mathématicien ?

Ce théorème a inspiré un groupe d’inventeurs, qui ont finalement réussi à créer un tel objet : le cadran solaire numérique était né. En 1998, un des premiers a été installé dans un parc public, à Genk en Belgique. Des versions de poche existent aussi !

 

Brève rédigée par Laurent Chupin et Andrzej Stos (Univ. Blaise Pascal).

Pour en savoir plus :

  • Étienne Ghys, « Un cadran solaire digital » — Images des Mathématiques, CNRS, 2008.
  • B. Mandelbrot. « How long is the coast of Britain, Statistical Self-Similarity and Fractional Dimension ». Science, New Series, Vol. 156, No. 3775. (May 5, 1967), pp. 636-638 [en anglais].
  • B. Mandelbrot. « The Fractal Geometry of nature ». W. H. Freeman and Co.,1982, ISBN 0-7167-1186-9 [en anglais].

Crédit Image : Digital Sundials International.

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