Eppur si muove ! se serait écrié Galilée en 1633, en apprenant la condamnation par l’Église de la théorie selon laquelle la Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil. C’est tout au moins ce qu’affirme une tradition très probablement fausse. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, tout le monde sait bien que la Terre tourne sur elle-même en faisant un tour par jour, mais, au fait, pourquoi en suis-je convaincu ?
Peut-être parce que mon instituteur me l’a appris à l’école. Voilà un argument peu convaincant, ou tout au moins bien peu scientifique. Non pas qu’il s’agisse de critiquer les instituteurs, mais il doit bien y avoir des arguments objectifs, que je peux vérifier moi-même.
Regardez le ciel nocturne. Difficile de croire que les étoiles tournent toutes ensemble. Il est bien plus simple de penser qu’elles sont fixes et que nous tournons. Convaincu ? Si l’argument était si convaincant, l’Humanité n’aurait pas eu à attendre Copernic et Galilée.
Dans les livres de Physique, on cite l’expérience du pendule de Foucault qui fut réalisée en grande cérémonie sous la coupole du Panthéon en 1851, et qui est souvent reprise dans les musées scientifiques. Un pendule très long est suspendu au plafond. L’extrémité libre balance majestueusement. A chaque passage, elle laisse une légère trace dans du sable déposé au sol. On voit que, lentement mais sûrement, au fil des oscillations, la trace tourne. Le physicien s’exclame alors : « Vous voyez, si la Terre était fixe, le plan d’oscillation ne tournerait pas ! » Convaincu ?
En 1902, dans son ouvrage La Science et l’Hypothèse, Henri Poincaré explique qu’il est plus commode de penser que la Terre tourne parce qu’ainsi le monde est infiniment plus facile à comprendre et à décrire.
« Dès lors, cette affirmation : ‘la terre tourne’, n’a aucun sens, puisqu’aucune expérience ne permettra de la vérifier ; puisqu’une telle expérience, non seulement ne pourrait être ni réalisée, ni rêvée par le Jules Verne le plus hardi, mais ne peut être conçue sans contradiction ; ou plutôt ces deux propositions : ‘la terre tourne’, et : ‘il est plus commode de supposer que la terre tourne’, ont un seul et même sens ; il n’y a rien de plus dans l’une que dans l’autre. »
Pauvre Poincaré ! Personne ne le comprit. On l’accusa de défendre l’Église contre Galilée. Il dut s’expliquer à de nombreuses reprises. Le public ne saisit pas que Poincaré énonçait l’une des grandes idées de la Physique : le principe de relativité.
Brève rédigée par Étienne Ghys (CNRS-École Normale Supérieure de Lyon).
Pour en savoir plus :
- Jean Mawhin, La Terre tourne-t-elle ? A propos de la philosophie scientifique de Poincaré. In Le Réalisme : Contributions au Séminaire d’Histoire des Sciences 1993-1994. Publié par J.-F. Stoffel, 215-252. Réminisciences 2. Louvain-la-Neuve: Univ. Cath. de Louvain, 1996.
- Henri Poincaré, Le mouvement relatif et le mouvement absolu, Chapitre VII de la Science et l’Hypothèse (1902), en podcast.
- Une lettre de Poincaré à Flammarion, montrant son agacement.
- J.-M. Ginoux et Ch. Gerini, Poincaré et la rotation de la Terre, Pour la Science n° 417, pp. 78-81, 2012.
Crédit image : Wikimedia Commons / woto.
sauf que l’indiscernabilité du mouvement ne s’applique que dans le cas rectiligne uniforme et sûrement pas à la rotation, comme le démontre … le pendule de Foucault …
Cher Adrien,
Merci pour ce commentaire. Il ne s’agit pas ici d’indiscernabilité du mouvement : ce n’est pas ce que dit Poincaré. Ce que dit Poincaré, c’est que si un physicien observe la physique dans n’importe quel repère, même non galiléen, eh bien, les équations décrivant le mouvement seront probablement compliquées, mais elles existeront et seront tout à fait valables pour décrire le phénomène, même si elles sont compliquées. Le point de vue “conventionaliste” de Poincaré consiste à dire qu’aucun des ces repères n’est plus vrai que l’autre, mais que certains sont plus “commodes” que d’autres. Par exemple, un physicien qui décrit ce qui se passe sur la Terre, vue comme “ne tournant pas”, “inventera” une force de Coriolis qu’un physicien observant depuis l’espace ne considérera pas comme une force…
Voici ce que Poincaré écrit dans “la valeur de la science” en 1905, et qui est clair, me semble-t-il…
“Mais il y a plus, non seulement des mondes seront indiscernables s’ils sont égaux ou semblables, c’est-à-dire si l’on peut passer de l’un à l’autre en changeant les axes de coordonnées, ou en changeant l’échelle à laquelle sont rapportées les longueurs ; mais ils seront encore indiscernables si l’on peut passer de l’un à l’autre par une « transformation ponctuelle » quelconque. Je m’explique. Je suppose qu’à chaque point de l’un corresponde un point de l’autre et un seul, et inversement ; et de plus que les coordonnées d’un point soient des fonctions continues, d’ailleurs tout à fait quelconques, des coordonnées du point correspondant. Je suppose d’autre part qu’à chaque objet du premier monde, corresponde dans le second un objet de même nature placé précisément au point correspondant. Je suppose enfin que cette correspondance réalisée à l’instant initial, se conserve indéfiniment. Nous n’aurions aucun moyen de discerner ces deux mondes l’un de l’autre. Quand on parle de la relativité de l’espace, on ne l’entend pas d’ordinaire dans un sens aussi large ; c’est ainsi cependant qu’il conviendrait de l’entendre.”
Bien cordialement,
Etienne Ghys
Bonjour,
Cette époque est bien révolue, maintenant personne ne peut nier l’évidence que la terre tourne sur elle même.On constate une rotation du “plan” d’oscillation du pendule, avec une période qui dépend de la latitude du lieu d’observation. On démontre en effet que T=TT/sin(l), où TT est la période sidérale de la Terre (86164 s) et l la latitude (algébrique) du lieu.
Votre commentaire montre que je me suis mal exprimé. Bien sûr, Poincaré connaissait le “fait” que le plan d’oscillation du pendule tourne avec la période que vous citez ! Ce qui est en jeu, c’est précisément le mot “On démontre” que vous employez. Le point de vue de Poincaré, qui n’est en aucun cas celui d’une époque révolue, mais qu’il faut envisager comme un point de vue philosophique, est “conventionaliste”. Cela signifie la chose suivante. Face à l’observation d’un certain nombre de phénomènes, le scientifique peut souvent développer plusieurs approches pour l’expliquer, et il donnera la préférence à celle qui est la plus simple sans chercher à affirmer que l’une est vraie et l’autre ne l’est pas. Cette préférence ne peut en aucun cas être une démonstration : c’est une convention qui nous simplifie la vie. Par exemple, la physique à la surface de la Terre s’explique simplement si je considère que la Terre tourne, alors par convention on dit que la Terre tourne ! Le philosophe Poincaré (qui connaissait bien la physique :-), se refuse à conclure qu’il s’agit d’une démonstration de la rotation de la Terre, voilà tout. Encore une fois, ce point de vue n’est pas révolu. Poincaré ne dit pas non plus que la Terre ne tourne pas ! Il énonce que la rotation ou non de la Terre n’a aucun sens objectif, que c’est un choix de notre esprit, et qu’en l’occurrence c’est plus simple de dire qu’elle tourne.
Si on convient que la Terre ne tourne pas sur elle-même, il faut ajouter une force, de Coriolis, qui est un peu bizarre certes, perpendiculaire à la vitesse et dépendant de la latitude. Mais dans la physique classique il y a aussi d’autres forces qui peuvent paraître bizarres, comme les forces magnétiques par exemple. Alors, dans la physique de tous les jours, il n’est pas rare qu’on préfère s’imaginer sur une Terre fixe en ajoutant une force de Coriolis : dans certains cas c’est plus simple ! D’ailleurs, même si je suis scientifique, lorsque je me lève le matin, il est bien rare que je m’imagine en train de tourner…
J’ajoute une chose sur le pendule de Foucault dont on dit qu’il “démontre” que la Terre tourne. La théorie de ce pendule n’est pas si simple et le résultat final, celui que vous donnez, donne une période de rotation du plan qui n’est pas celle du jour sidéral, mais une formule compliquée, bien peu intuitive… Je vois le pendule de Foucault au Panthéon dont le plan fait un tour en 32 heures et il faudrait conclure que c’est la “démonstration” que la Terre tourne en 24 heures ? D’ailleurs, si je ne me trompe pas, il semble bien que Foucault lui-même ne maîtrisait pas bien la théorie de son pendule : ce n’est pas si facile…
Le message de Poincaré est mal passé à son époque et passe encore mal aujourd’hui… Il s’agit d’une prise de position philosophique sur la nature de notre rapport avec l’espace.
Mais nous sommes d’accord : elle tourne 🙂
Bien cordialement,
Etienne Ghys