Maximiser la biodiversité : la voie du milieu

Comprendre les écosystèmes grâce aux travaux combinant écologie du paysage, écologie théorique et mathématiques.

Comprendre les écosystèmes grâce aux travaux combinant écologie du paysage, écologie théorique et mathématiques.

Les écosystèmes sont complexes et fragiles : la disparition de certaines espèces d’un milieu naturel donné peut conduire à un bouleversement profond de ce milieu. Plus la biodiversité, c’est-à-dire le nombre d’espèces présentes en un même lieu, est grande, plus l’écosystème est stable et pourra résister aux modifications humaines, aux maladies ou encore aux espèces invasives. C’est pourquoi une question importante en écologie est de comprendre comment maximiser la biodiversité.

Cependant, lorsqu’on cherche à reproduire expérimentalement les milieux naturels en laboratoire, on trouve une biodiversité très faible : en effet, comme l’explique le principe d’exclusion compétitive de Gause, la biodiversité est fortement réduite par les systèmes expérimentaux, qui reproduisent la nature de manière très simplifiée (cuve d’eau à température et luminosité constantes, serre avec un contrôle précis des différents apports, etc.). Pour pallier ce problème, on cherche donc à modéliser de façon abstraite les milieux naturels : les modèles utilisés doivent être suffisamment complexes pour préserver la biodiversité tout en permettant une analyse mathématique. De tels modèles mathématiques peuvent incorporer des perturbations ponctuelles, des fluctuations temporelles ou encore des fluctuations spatiales.

Commençons par étudier le rôle de perturbations ponctuelles sur un environnement homogène. Dans la nature, de telles perturbations sont courantes (incendies dans le midi, épidémie annuelle, route au milieu des bois, etc.). Ces perturbations peuvent-elles permettre d’augmenter la biodiversité ? Si oui, doivent-elles être très fréquentes ou rares ? Y a-t-il des perturbations maximisant la biodiversité ?

Des phénomènes plus réguliers que des perturbations peuvent également être pris en compte : on peut incorporer des variations temporelles telles que les cycles saisonniers ou les cycles jours-nuits. Quel impact ceci a-t-il sur la biodiversité ? Peut-on intervenir dans les milieux naturels de manière à maximiser la biodiversité ?

Quid des variations spatiales : dans une ville, est-il préférable d’avoir un grand parc unique ou plusieurs petits parcs ? Dans les campagnes, vaut-il mieux avoir des petits bois séparés par des champs ou une forêt proche d’une grande surface agricole ? Y a-t-il des dispositions maximisant la biodiversité ?

La réponse à ces questions est que la voie du milieu est la meilleure : ce sont des perturbations intermédiaires (des perturbations ni trop rares ni trop fréquentes, des variations temporelles ni trop rapides ni trop lentes, des variations spatiales ni trop courtes ni trop grandes) qui maximisent la biodiversité. Ceci a été observé par des écologues depuis les années 1940, et a été formalisé en 1978 par Conell dans un concept écologique nommé  « The intermediate disturbance hypothesis ». De nombreux travaux en écologie du paysage, en écologie théorique et en mathématiques ont depuis précisé et justifié ce concept.

En fait, toutes ces questions, et bien d’autres, peuvent être schématisées d’une manière commune, et l’analyse mathématique peut alors donner une réponse satisfaisante. L’idée est la suivante : considérons notre milieu comme un ensemble de boîtes connectées entre elles.

boites

Schéma du milieu comme un ensemble de boîtes.

Chaque boîte décrit un milieu homogène dans lequel vivent les espèces que l’on considère. Le passage d’une boîte à une autre traduit une perturbation du milieu, une variation dans le temps ou encore une variation dans l’espace. Toutes les questions précédentes se traduisent alors d’une manière commune : quelle vitesse d’échanges entre les boîtes maximise la biodiversité ?

Sur la base de ce modèle en boîtes, les mathématiciens et les écologues écrivent des équations, plus précisément des systèmes d’équations différentielles, décrivant le comportement des populations. La vitesse d’échange entre les boîtes est décrite par un paramètre numérique : le coefficient de diffusion. Une réponse mathématique peut alors être donnée dans de nombreux cas : la biodiversité est maximale pour une valeur moyenne du coefficient de diffusion.

Ce résultat, conceptuel et théorique, est intéressant pour comprendre les écosystèmes mais a également de nombreuses implications pratiques. En effet, il induit des réponses concrètes sur les moyens d’augmenter la biodiversité dans des cas aussi divers que la gestion des espaces verts en milieu urbain, l’organisation des paysages agricoles, la gestion des forêts, les quotas de pêche, et bien d’autres choses !

Brève rédigée par Sten Madec (Université de Tours), d’après ses propres travaux.

Pour en savoir plus :

Crédits images : Norbert Nagel / Wikimedia Commons, Sten Madec.

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