Les invasions biologiques constituent la première cause de disparition des espèces en milieu insulaire. L’homme, à travers ses conquêtes, a entraîné l’arrivée d’espèces particulièrement invasives comme les chats et les rats, ce qui a entraîné la disparition de nombreuses espèces, comme les oiseaux marins, qui n’étaient pas préparés pour se défendre contre de tels prédateurs. Le problème est toujours d’actualité et pose de nombreuses difficultés aux conservateurs des milieux naturels. En effet, étant donné que les chats s’attaquent aussi aux rats, qui eux-mêmes s’attaquent aux œufs et oisillons, on s’est longtemps demandé s’il fallait éradiquer les chats et prendre le risque d’avoir une explosion des populations de rats ou s’il fallait plutôt protéger les chats pour maintenir une pression sur les rats.
Le Pétrel de Barau est un cas d’école (Figure 1) : cet oiseau marin a été découvert tardivement à la Réunion, où il est endémique. Il passe l’essentiel de son temps loin de l’île de la Réunion mais revient nicher de septembre à avril dans les Hauts de l’île (dans le massif volcanique du Piton des neiges, entre 2300 et 2900 m d’altitude). Malheureusement, en raison, entre autres, de la pression démographique, les rats et les chats ont envahi cet espace où l’on pensait le Pétrel protégé.
Des modèles mathématiques, sous forme de systèmes d’équations différentielles, ont été développés pour étudier la dynamique à long terme des populations d’oiseaux sous prédation. Les premiers modèles « Chat-Rat-Oiseau » développés, étaient très simples et prédisaient qu’il fallait protéger les chats pour protéger les oiseaux : c’est l’effet de relâche du super-prédateur (le chat) sur le méso-prédateur (le rat). Cependant, dans ce genre de modèle aucune distinction n’est faite entre la prédation du chat sur l’oiseau et du rat sur l’oiseau. En effet, les rats s’attaquent aux œufs (et aux poussins) alors que les chats s’attaquent aux poussins et aux adultes. Dans le cas du Pétrel de Barau, l’adulte peut vivre plus de 50 ans, mais ne pond qu’un seul œuf par an : on estime à 1% l’augmentation annuelle de sa population, en absence de prédation ! Il en résulte que la perte d’un œuf ou d’un adulte n’a pas les mêmes conséquences sur la dynamique à long terme du Pétrel. Un modèle plus récent prend donc en compte la biologie du Pétrel et différencie l’impact du rat et du chat : voir ci-dessous.
En conclusion de cette étude : les chats ont un effet dévastateur sur la démographie des Pétrels et ne suffisent pas à réguler les rats. La lutte contre les chats est donc absolument indispensable pour protéger le Pétrel et espérer une augmentation à long terme de sa population, vers un équilibre « Rat-Pétrel ». Naturellement si on lutte également contre les rats, alors la population de Pétrels augmentera plus rapidement. Ces résultats ont été utilisés pour organiser la lutte contre les chats sur les sommets de La Réunion mais aussi à Juan de Nova, une île du Canal du Mozambique où les mêmes problèmes existent.
Brève rédigée par Yves Dumont (UMR AMAP, CIRAD) et Matthieu Le Corre (Laboratoire ECOMAR, Université de la Réunion).
Pour en savoir plus :
- Une vidéo de l’Université de la Réunion sur le Pétrel de Barau.
- Brèves connexes : Nos petits-enfants connaîtront-ils le miro des
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Crédits images : Yves Dumont et Matthieu Le Corre.