Anna a deux ans. Elle aime les ballons de baudruche. Elle aime aussi coller du scotch. Et que fait-elle quand elle a les deux sous la main ? Elle calcule des géodésiques, un peu comme Monsieur Jourdain, qui lui, a dit de la prose pendant plus de quarante ans, sans rien en savoir. Avez-vous déjà remarqué que le scotch ne se colle pas du tout n’importe comment sur un ballon (ni sur n’importe quoi d’autre, d’ailleurs) : quand le ballon est à peu près rond, il se colle le long de grands cercles – essayez de le forcer à se coller autrement (mais Anna l’a déjà fait pour vous) ! Et en général, le scotch se colle le long de courbes très particulières qu’on appelle des géodésiques.
Ces courbes géodésiques sont le plus court chemin entre deux points donnés sur le ballon. Comme si cela importait au scotch de s’économiser et de surtout ne pas faire de détour ! En tout cas, c’est la même raison d’économie (de carburant en l’occurrence) qui fait que les avions qui volent d’Europe en Amérique du Nord passent généralement très au Nord, près de l’Islande : ils suivent eux aussi les grands cercles à la surface de la Terre.
Deux mille ans avant Anna, Héron d’Alexandrie s’était aperçu que les rayons de lumière s’économisent eux aussi. Quand ils se réfléchissent sur un miroir, le chemin qu’ils suivent est plus court que n’importe quel autre chemin obtenu en faisant varier le point de réflexion sur le miroir. Fermat, Maupertuis, Euler, Lagrange, Gauss et bien d’autres ont depuis découvert une série de généralisations spectaculaires de ce principe de minimisation, qui semble régir toutes les lois fondamentales de la physique.
Anna est éberluée de voir à quel point ce bout de scotch est têtu. Elle ne se doute pas que ce sont certains calculs de Dirac et de Feynman en mécanique quantique qui expliquent le mieux ce phénomène comme étant le résultat d’une superposition d’ondes quantiques. Le miracle est que, oui, le scotch et les particules de lumière reniflent tous les chemins possibles ! Mais les ondes quantiques empruntant des chemins voisins les uns des autres se superposent et s’annihilent, sauf… à proximité des géodésiques, où au contraire toutes les ondes collaborent, pour ainsi dire, dans la même direction.
En fait, on s’aperçoit que quantité de problèmes physiques, mathématiques ou autres trouvent leur solution dans un principe minimisant. La mystérieuse quantité à minimiser, différente dans chaque situation, est appelée « l’action », comme si c’était un paresseux qui écrivait les lois de l’univers ! La théorie de Mather-Mañe, elle, a récemment produit un avatar remarquable du principe de minimisation en dynamique classique, dans lequel les objets minimisants ne sont plus des trajectoires individuelles, mais des mesures, destinées à appréhender des phénomènes dynamiques subtils. Mais ça, Anna ne l’a pas expérimenté.
Brève rédigée par Jacques Féjoz (Univ. Paris-Dauphine).
Pour en savoir plus :
- R. Feynman (1942), « The principle of least action in quantum mechanics » [En anglais].
- Brèves connexes : « Leonhard Euler : le plus grand mathématicien de tous les temps ? », « Richard Bellman et la programmation dynamique ».
Crédit Image : Jacques Féjoz.
Voila un argument que Pascal aurait pu utiliser pour démontrer l’existence de Dieu !
C’est quand même plus puissant que le jeu avec Dédé !