Des maths pour ne plus toucher terre

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Localisation des premiers électrons supraconducteurs pour un matériau cylindrique à section trapézoïdale.

Le phénomène de supraconductivité a été découvert en 1911 dans un laboratoire néerlandais. Une légende raconte qu’un étudiant de H. K. Onnes (Prix Nobel 1913) aurait oublié de surveiller la manipulation sur laquelle il travaillait et que celle-ci aurait alors atteint une température beaucoup plus basse que celle demandée par son expérience : la température de liquéfaction de l’hélium. L’équipe a alors découvert que le matériau avait une résistance électrique nulle : il laissait passer le courant sans perte !

En 1933, W. Meissner se rend compte que lorsqu’on soumet un champ magnétique à des matériaux supraconducteurs et qu’on les maintient à une température assez basse, le champ magnétique est expulsé (le flux magnétique à l’intérieur du matériau est nul) : c’est l’effet de lévitation qui permet nombre d’applications spectaculaires. Une de ces principales applications est donnée par les trains à sustentation électromagnétique comme pour le Maglev au Japon qui se déplace sans toucher les rails. En revanche, lorsque le champ est trop fort ou la température trop élevée, le matériau n’a plus aucune propriété intéressante. Il existe donc une transition entre deux états. Cette transition est immédiate pour les supraconducteurs dits de type II, alors qu’il y a une zone de transition pour les supraconducteurs de type I. Dans cette zone de transition, le champ pénètre le matériau par de petits tubes, appelés vortex, qui deviennent de plus en plus denses lorsqu’on augmente l’intensité du champ magnétique appliqué. Néanmoins, pour les supraconducteurs de type II, il existe un champ critique qui permet de passer immédiatement d’un état supraconducteur à un état normal.

En 1950, V. Ginzburg et L. Landau (eux aussi Prix Nobel, en 2003 et 1962 respectivement) modélisent ce phénomène en décrivant l’énergie du système en fonction de l’organisation des électrons. A très basse température, les électrons peuvent s’organiser de manière particulière, par  paires (dites de Cooper), et réaliser ainsi des états de plus faible énergie. Le problème mathématique consiste donc à trouver la configuration des électrons de plus basse énergie : on voit ainsi les zones du matériau où la supraconductivité va apparaître lorsqu’on abaisse progressivement l’intensité du champ magnétique. Les mathématiciens ont beaucoup étudié le modèle de Ginzburg-Landau, à la fois pour déterminer ce champ critique mais aussi pour détecter où les électrons supraconducteurs sont localisés en premier. Cette étude repose sur l’analyse semi-classique (des techniques permettant de caractériser des régimes où un paramètre du modèle est “petit”), la théorie spectrale (qui permet de décomposer une opération complexe en somme d’opérations simples), mais aussi l’étude de problèmes non-linéaires (où les effets ne sont pas proportionnels aux causes).

L’enjeu consiste également à comprendre l’influence de la géométrie du matériau sur la localisation des électrons supraconducteurs ainsi que celle de l’orientation du champ magnétique. Par exemple, si on considère un matériau cylindrique et qu’on applique un champ magnétique orienté selon l’axe du cylindre,  l’analyse mathématique montre que les paires de Cooper apparaissent d’abord sur les parties les plus pointues de la section du cylindre. On remarque également que  la supraconductivité subsiste pour des champs magnétiques d’autant plus intenses que la section du cylindre a des coins de petites ouvertures.

Brève rédigée par Virginie Bonnaillie-Noël (ENS Rennes Université Rennes 1).

Pour en savoir plus :

Crédits Images : Simulation réalisée par V. Bonnaillie-Noël

1 commentaire

  • Denis Serre says:

    L’article est très intéressant. Mais il est nécessaire de préciser ceci : le K de H. K. Onnes n’est pas l’initiale d’un second prénom, une sorte de “middle name” à l’américaine. En réalité, le patronyme est Kamerlingh Onnes, en deux mots, tandis que le prénom est Heike. On peut donc écrire Heike Kamerlingh Onnes, ou bien H. Kamerlingh Onnes, mais pas H. K. Onnes.

    On pourra lire avec profit l’ouvrage, un peut rare il est vrai, de Johanna M.H. Anneke Levelt Sengers : How fluids unmix (2002). Il retrace le “second âge d’or” des Pays-Bas, celui des scientifiques, avec entre autres Kamerlingh Onnes et Korteweg.

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