Simuler le son d’un piano

Vue éclatée d’un piano à queue.

La conception et la fabrication d’un piano sont très largement basées sur un savoir empirique issu de plusieurs siècles d’expérimentations, d’échecs et de succès. Les facteurs de piano ont acquis un ensemble de connaissances extrêmement précises mais cherchent désormais à rationaliser leur approche en utilisant des méthodes scientifiques, afin de donner raison ou tort à certaines affirmations et à améliorer leur compréhension des phénomènes mis en jeu.

Le piano est un système acoustique et mécanique assez sophistiqué. On peut résumer très schématiquement son fonctionnement de la façon suivante : le doigt du pianiste frappe une touche du clavier, un mécanisme très précis démultiplie le mouvement de la touche et met en mouvement un marteau. Le marteau frappe entre une et trois cordes à la fois (selon la note choisie), qui se mettent à vibrer. Le chevalet transmet l’énergie des cordes à la table d’harmonie, qui vibre elle aussi, supportée par le meuble du piano. Ceci entraîne finalement la propagation d’un son dans l’air, jusqu’à nos oreilles. De ce fonctionnement complexe, nous avons extrait un squelette simplifié, permettant de décrire seulement la physique qui s’entend et de mieux comprendre les mécanismes à l’origine de la génération d’un son de piano.

Chacune des étapes acoustiques et mécaniques considérées ainsi que leurs couplages peuvent être modélisés par des équations mathématiques issues des lois fondamentales de la physique. La solution de ce modèle ne peut pas être calculée simplement mais nécessite la mise en œuvre de techniques de pointe d’analyse numérique. On peut alors évaluer la solution sur un ensemble fini de points (un maillage) de chaque partie de l’instrument. En raison du degré de réalisme des phénomènes étudiés et de la précision des méthodes de calcul utilisées, le logiciel doit fonctionner pendant 24 heures sur 300 processeurs pour calculer les vibrations dans tout le piano et l’air pendant une seconde.

En simulant ainsi un piano virtuel, on parvient à reproduire fidèlement des sons de piano, à suivre les vibrations à l’intérieur de l’instrument, mais aussi à connaitre le champ de pression de l’air autour du piano, ce qui serait impossible à mesurer sans perturber le système. L’une des applications les plus enthousiasmantes de ces simulations est bien sûr l’aide à la facture instrumentale. En effet, ce modèle de piano peut permettre d’isoler certains phénomènes afin de comprendre leur influence sur le son, sur le rayonnement ou encore sur la transmission de l’énergie… mais aussi de construire virtuellement des pianos qui n’existent pas encore (en changeant la forme ou la taille de la table d’harmonie, les matériaux utilisés, etc.) et de pouvoir écouter le son qu’ils auraient s’ils étaient construits.

Encore plus intrigant, le modèle permet de générer des sons d’objets qui ne peuvent pas exister pour des raisons pratiques (matériaux inexistants, cordes de 7 mètres de long, piano flottant sans cadre ni pieds, etc.) mais qui pourtant respectent les lois de la physique et dont le son parait donc plausible à l’oreille, en ce sens que le cerveau parvient à les attribuer à une cause physique. On touche là une application très intéressante du point de vue de l’interaction entre science et musique : le fruit de la recherche permet d’offrir au compositeur des instruments nouveaux, un matériau sonore jusqu’ici inexistant et adaptable à souhait, lui permettant d’aller toujours plus loin à notre époque qui place le timbre et la manipulation du son au centre de la création musicale.

Brève rédigée par Juliette Chabassier (Inria Bordeaux Sud-Ouest, Equipe Magique3D), sur la base de ses travaux en collaboration avec Patrick Joly, Antoine Chaigne et Marc Duruflé.

Pour en savoir plus :

Crédits images :

  • Blakham E. Donnell (Figure 1)
  • Juliette Chabassier (Figure 2)

Crédits calculs : Toutes les simulations ont été réalisées en utilisant les moyens de calcul du GENCI : TITANE – CEA / CCRT et JADE – CINES, la plate forme expérimentale PLAFRIM, développée par Inria PlaFRIM avec le support du LABRI, de l’IMB et d’autres entités : Conseil Régional d’Aquitaine, FeDER, Université de Bordeaux et CNRS, et les moyens de calcul du MCIA (Mésocentre de Calcul Intensif Aquitain) de l’Université de Bordeaux et de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.

4 Commentaires

  • douli says:

    Bonjour,

    cet article m’intrigue particulièrement… Pour jouer du piano sans piano, les fabricants d’instrument électronique utilisent, il me semble, principalement des samples, ou enregistrements de sons de piano, qui collés bout à bout offrent l’impression de jouer d’un vrai piano… Cette imitation est peu souvent réussie, et doit donc être complexe (à moins que ce ne soit une bonne raison pour vendre le bon son très cher ?).

    Pour jouer du clavier, il existe des claviers MIDI qui s’interfacent avec l’ordinateur. Ainsi, quand je joue le mi, si le logiciel est réglé sur une flûte, j’entendrai le son d’une flûte. Le logiciel libre est de plus en plus présent dans ce domaine, notamment avec des synthétiseurs totalement gigantesques, avec des possibilités qui semblent infinies. Par contre, je n’ai jamais su trouver un bon logiciel pour jouer du piano… La plupart n’essaient même pas, tant cela semble difficile.

    Armé de connaissances mathématiques et informatique, je pourrais sans doute développer un tel logiciel, si le travail théorique d'”acoustique” est mis sur papier par un physicien. C’est une joie de voir qu’une thèse a été rédigée dans cette direction. La méthode ne semble vraiment pas efficace (et c’est un euphémisme, 300 coeurs sur 24H O_o), mais l’on peut sans doute élargir la grille, et altérer le résultat par ci par là pour le rendre calculable en temps réel ? Avez-vous une idée de la faisabilité d’un tel système ? La sonorité se dégrade-t-elle très vite ? Avant de me lancer dans le sujet, j’aimerais savoir si mon idée n’est pas stupide…

    Merci 🙂

    (et merci pour ces petits articles qui, avec Images des Mathématiques, constituent le seul réseau français de passionnés de mathématiques… Je sais enfin où rediriger les curieux 🙂 )

  • Bonjour,
    Merci pour votre commentaire et vos questions. La lourdeur en temps de calcul de notre modèle vient du fait que nous calculons le déplacement (ou assimilé) de chaque point de chaque partie de l’instrument en tout temps. Si l’on s’intéresse à la synthèse sonore, et donc uniquement au son de l’instrument, alors le temps de calcul peut effectivement être réduit énormément. Une entreprise française, Modartt, a réussi le pari d’arriver à modéliser un son de piano en temps réel : je vous invite à visiter le site http://www.pianoteq.com ainsi que les exemples musicaux à la page
    http://www.pianoteq.com/listen_by_instrument

    Juliette Chabassier

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*