Partager la terre

arpentage

Scène d’arpentage dans l’Egypte ancienne. Tombe de Menna, Thèbes.

 

« Partager la terre » : voici un problème récurrent des arpenteurs et des géomètres. Selon Hérodote (entre autres), la géométrie (geô, terre et metrie, mesure) serait même née des problèmes posés par les crues du Nil au partage de terres cultivables dans l’Égypte antique. Au Moyen Âge, ces problèmes se retrouvent notamment en pays d’Islam où mathématiques et sciences des héritages sont étroitement liées. De nouvelles méthodes de résolution géométrique, mais aussi algorithmique ou algébrique vont se développer.

 

Le partage de terrains entre copropriétaires ou ayants-droit à la suite d’un héritage prend en compte certaines contraintes naturelles (la présence d’une source d’eau) ou d’autres liées aux activités humaines (l’accès à un puits, à une mosquée). L’un des géomètres les plus connus des pays d’Islam, Abū l-Wāfā’ al-Būzjanī (m. 998) propose, dans son Livre sur ce qui est nécessaire à l’artisan en constructions géométriques, des constructions géométriques pour partager un carré (un rectangle, un triangle ou un trapèze) entre trois personnes en laissant une voie d’accès.

Dans son Épître sur le mesurage, Ibn Tāhir al-Baghdādī (mathématicien juriste du xe siècle) donne une procédure algorithmique pour déterminer les dimensions des parcelles à partir de celles de la voie d’accès :

 

« Une terre vingt fois trente, et on veut la partager entre trois frères , et faire dans celle-ci une route de largeur deux coudées. On enlève la route du côté qui mesure trente, et on a besoin de savoir combien doit être la longueur de cette route. (…) Si le partage était entre deux fils et une fille, le partage sera sur cinq parts. Et si le partage était entre deux filles et un fils, le partage sera sur quatre parts. »

Si N est le nombre d’héritiers, A l’Aire du terrain, s la largeur ou longueur du terrain et l la largeur du chemin, alors  A \times (N-1) \div (s \times N-l) donne la longueur du chemin.

Enfin, d’autres auteurs comme al-Karajī (xe/xie siècles) utilisent les procédures algébriques héritées d’al-Khwārizmī (ixe s.) pour résoudre ces problèmes :

« Si on te dit, tu as un quadrilatère de longueur 20 bāb et de largeur 10 bāb, divise-le entre trois personnes : la moitié pour l’un d’eux, le tiers pour un autre et le quart pour un autre de sorte qu’il y ait, en son centre, une route de largeur 2 bāb à laquelle aboutissent, par la longueur, les entrées des trois quotes-parts, l’une par le devant, l’autre par la droite et l’autre par la gauche, de sorte que la quote-part du propriétaire du tiers soit à l’avant, selon cette figure ».


De nos jours, un collégien appellerait x la longueur du chemin. Il écrirait que la somme des aires partielles est égale à l’aire totale, et aboutirait à une équation linéaire. Al-Karajī donne la réponse x=7+ \frac{1}{7}. Sauriez-vous la retrouver ?

 

Brève rédigée par Marc Moyon (Université de Limoges).

Pour en savoir plus :

  • « Problèmes de partage : des cadastres à l’arithmétique », Christine Proust sur CultureMaths.
  • Marc Moyon, « Practical Geometries in Islamic Countries: the example of the division of plane figures », in Kronfellner, M., Barbin, E. & Tzanakis, C. (eds.), History and Epistemology in Mathematics Education. Proceedings of the 6th European Summer University (Vienne, 19-23 juillet 2010), Vienne, Verlag Holzhausen GmbH, p. 527-538.

Crédit Images : Marc Moyon, site Agropolis Museum.

3 Commentaires

  • Amic says:

    1/2+1/3+1/4 > 1, non ? J’ai dû louper quelque chose…

    • MOYON says:

      Merci pour cette question… Vous n’avez rien loupé! Sinon, qu’en plus des 13/12 nécessaires, il faut aussi le chemin… l’unité est bien largement dépassée et les règles élémentaires de partage sont donc bien difficiles à respecter!

      Les règles des héritages dictées notamment par le Coran (par exemple*, Sourate 4 “an-Nisa'”, versets 11 & 12) amènent très régulièrement des situations de ce genre. Les juristes s’y adaptent en respectant les rapports entre les ayant-droits.
      En d’autres termes, celui qui doit obtenir 1/2 du terrain doit avoir le double de celui à qui revient le 1/4. Et, celui qui doit obtenir le 1/3 du terrain aura une surface dans le rapport 3 à 2 et/ou 3 à 4.
      Si x est la longueur du chemin, la mise en équation du problème donne 2x pour le chemin, 12x pour la 1/2, 6x pour le 1/4 et donc 8x pour le 1/3,
      soit : 28x pour 200 [bâb²]… d’où le résultat.

      * Voir les versets coraniques:
      http://islamfrance.free.fr/doc/coran/sourate/4.html

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