Neige de printemps et avalanches


Traces d’une avalanche dense.

Cette année, l’hiver n’a pas été avare en neige : des records de chutes ont été battus sur la plupart des massifs. Dans les dernières semaines, le printemps est arrivé d’un coup et les températures sont repassées un moment au-delà des normales saisonnières. A Chamonix, par exemple, lors des très chaudes journées d’avril, la capitale française de l’alpinisme a entendu résonner régulièrement les avalanches qui dévalaient les pentes alentour. Modéliser ces avalanches est un sujet de recherche aux enjeux importants.

C’est un phénomène classique en cette saison. La neige de printemps se réchauffe suffisamment sur les faces bien exposées au soleil (la “soupe” exécrée des skieurs) et peut partir par grands blocs assez compacts vers le bas de la pente. Ce “matériau” lourd engendre des avalanches dites “coulantes“. Il s’agit de l’un des deux types que l’on distingue en ingénierie paravalanche même si dans la pratique cette classification n’est qu’une première approximation d’un phénomène qui prend de multiples formes.

Le second type d’avalanche a déjà été évoqué auparavant sur ce site : il s’agissait de neige de type “poudreuse“, une neige plus “légère”, capable de générer des aérosols qui s’élèvent très au-dessus de la pente. Dans ces cas, la force de destruction réside en grande partie dans la vitesse élevée et l’onde de pression qui accompagne l’avalanche de neige poudreuse, fatale pour les structures qui se trouvent sur son chemin.

D’un point de vue mathématique, cette différence physique entre avalanches de poudreuse et avalanches de neige dense se traduit également par une différence des équations utilisées pour les modéliser. En particulier, pour ces neiges à haute densité, on peut notamment construire des modèles qui décrivent l’avalanche comme un écoulement de faible profondeur dans lequel le matériau est viscoplastique. Cette caractéristique signifie qu’il faut exercer une action suffisamment forte (le propre poids de la couche de matériau, la surcharge d’un groupe de skieurs, etc.) pour que, étant initialement dans un état solide, le matériau devienne fluide et commence à dévaler la pente ! On peut faire l’analogie avec du dentifrice ou du ketchup : si l’on veut faire sortir ces matériaux, il faut presser le tube pour que la pâte assez rigide se fluidifie un peu et s’écoule au-dehors. Les méthodes mathématiques mises en œuvre pour résoudre les équations associées sont tout à fait distinctes de celles utilisées pour les neiges poudreuses. Dans le cas des modèles viscoplastiques, il y a encore beaucoup à faire pour mettre au point des algorithmes fiables sur des cas réels comme les Alpes ou les Rocheuses américaines. Outre la gestion des grands domaines de calcul, il faut pouvoir montrer rigoureusement que la méthode numérique, utilisée par l’ordinateur, calcule une solution fidèle au modèle physique considéré. Cela fait l’objet de recherches actuelles.

Plus généralement, comme évoqué plus haut, les avalanches sont un phénomène très complexe à modéliser physiquement et pour lequel plusieurs décennies de travail n’ont permis de lever que partiellement le voile sur les mécanismes qui les gouvernent. Il reste donc une multitude de collaborations et de résultats à obtenir entre physiciens et mathématiciens sur ces sujets. Avis donc aux jeunes scientifiques en herbe : des carrières passionnantes peuvent être réalisées sur ces sujets ! Pour les amateurs de ski de randonnée, certains chercheurs nord-américains ont même construit des abris scientifiques à même la pente pour étudier les avalanches… de l’intérieur !

Plus sérieusement, les enjeux, qu’ils soient humains ou financiers, sont cruciaux : arriver à décrire plus précisément la dynamique des avalanches permettrait d’optimiser notamment la détermination du plan d’occupation des sols en vue de la construction de nouveaux bâtiments, la construction des ouvrages paravalanches pour les structures existantes, la gestion temporelle du risque en sécurisant par exemple des activités sportives en plein air.

Brève rédigée par Paul Vigneaux (UMPA ENS Lyon).

Pour en savoir plus :

  • Simuler les avalanches de Thierry Goudon.
  • Analyser 47 ans d’avalanches pour prévenir les risques futurs de Liliane Bel.
  • C. Ancey et al. Dynamique des avalanches. Presses Polytechniques et Universitaires Romandes – CEMAGREF. 2006. Un livre accessible à un public scientifique assez large.
  • Article de recherche : C. Acary-Robert, E. D. Fernandez-Nieto, G. Narbona-Reina, P. Vigneaux. A well-balanced finite volume-augmented Lagrangian method for an integrated Herschel-Bulkley model. Journal of Scientific Computing, 2012, 53 (3), pp. 608-641.
  • Ed Adams à l’Université du Montana est bien connu pour avoir fait ce genre d’expériences scientifiques “à ne pas reproduire à la maison”.

Crédits Images : Alain Duclos, 2012.

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