Lorsque les vibrations d’une corde de violon se propagent le long de celle-ci, elles sont semblables à des ondes électriques le long d’un fil conducteur : elles ne sont que très peu atténuées, fort heureusement pour l’harmonie d’une part et la distribution d’énergie d’autre part. Lorsqu’un tremblement de terre se produit, on préfèrerait en revanche que les vibrations du sous-sol qui en résultent diminuent le plus rapidement possible.
Et c’est le cas dans une certaine mesure, car les vibrations en trois dimensions (au lieu d’une seule le long de la corde) sont bel et bien censées décroître. Plus précisément, les lois de la physique nous disent qu’elles décroissent en raison inverse du carré de la distance à leur source, en l’occurrence l’épicentre pour un séisme. Comment se fait-il alors que les tremblements de terre soient aussi dévastateurs ?
Une explication fut apportée en 1885 par John William Strutt (1842–1919, prix Nobel de physique 1904), 3ème baron de Rayleigh. Elle repose sur la notion d’ondes de surface, semblables à des vagues sur l’océan, qui s’atténuent beaucoup moins vite que les vibrations «dans la masse». Et ces ondes que l’on appelle aujourd’hui ondes de Rayleigh sont celles que nous ressentons le plus lors d’un séisme.
D’où viennent-elles ? Pour le comprendre, il faut examiner de plus près les vibrations du sous-sol. Comme tous les matériaux élastiques, la partie solide de la Terre fait l’objet de deux sortes de vibrations : des ondes dites longitudinales, comme celles qu’on peut observer sur un ressort qui se comprime et s’étire dans sa propre direction, et des ondes dites transversales, plus proches de celles qu’on observe sur une corde vibrante. Les ondes élastiques transversales sont appelées ondes S (comme shear, cisaillement en anglais) et les longitudinales ondes P (comme pression). Comme on ne peut pas cisailler un fluide, seules les ondes P ont un analogue dans les fluides : ce sont les ondes sonores, grâce auxquelles on entend d’ailleurs la corde vibrer !
Autre point important : le sol sur lequel nous vivons n’est pas fixé, il peut vibrer sans contrainte. Du point de vue mathématique, on parle d’un problème à frontière libre. Les ondes qui parviennent à la surface ont deux possibilités. Soit se réfléchir et retourner dans les profondeurs, auquel cas elles ne sont perceptibles qu’un instant et causent peu de dommages. Soit se combiner pour se propager horizontalement : ce qui serait impossible dans un milieu fluide est en fait la règle pour un milieu solide ! C’est cette combinaison d’ondes P et d’ondes S qu’avait découvert Rayleigh et que les mathématiciens étudient encore aujourd’hui sous des formes plus sophistiquées.
L’énergie des ondes de Rayleigh décroît seulement en raison inverse de la distance. Elles sont donc ressenties plus longtemps et plus intensément, d’où leur effet dévastateur. Bien sûr, cette description suppose un sol plat. Lorsque par malheur le sol présente un profil linéaire, comme par exemple une chaîne montagneuse, une onde mono-dimensionnelle peut se propager comme le long d’une corde. Son énergie ne décroît (presque) plus du tout avec la distance parcourue et les destructions sont encore plus grandes. C’est ce qui se serait passé à Kobé (Japon, 1995) et à l’Aquila (Italie, 2009).
Brève rédigée par Sylvie Benzoni-Gavage (Université Lyon 1) et Denis Serre (ENS Lyon).
Pour en savoir plus :
- La page Wikipedia sur les ondes sismiques, ou mieux, celle en anglais.
- La biographie de Lord Rayleigh sur le site des prix Nobel: «Lord Rayleigh – Biography» [en anglais].
- J.-M. Courty, «Observer les ondes sismiques du 11 mars avec le GPS», blog Idées de Physique.
- F. Chambat, «Enregistrement des ondes sismiques sur un sismogramme», Planet Terre.
Crédits Images : Wikimedia Commons / Frinck51.
Bonjour,
Tout d’abord concernant les fluides, il me semble qu’il existe un phénomène de cisaillement en leur sein lorsque le fluide se déplace le long d’un bord fixe. Ce cisaillement est dû à la viscosité du fluide et à la condition de vitesse nulle au contact du bord. Cependant je n’ai jamais entendu parler d’ondes de cisaillement dans un fluide…
Et les solides constituant le manteau terrestre ne sont-ils pas considérés comme des fluides ayant une viscosité très élevée? Si c’est le cas un modèle doit s’appliquer à différents milieux, des approximations permettant d’obtenir une (des) équation(s) différente(s) pour chaque cas. Existe-t-il alors des nombres adimensionnés permettant d’évaluer la prépondérance de certains phénomènes devant d’autres? Pour faire le lien avec la première question, pourrait-on imaginer voir apparaître des ondes de cisaillement dans un fluide en augmentant progressivement sa viscosité?
Merci beaucoup
Eliott
Le cisaillement dans un fluide existe en effet près des parois en raison de la viscosité, mais il ne donne pas lieu à des ondes se propageant à vitesse finie, contrairement à ce qui se passe dans un solide élastique.
Le manteau terrestre, pourtant constitué de roches solides, peut en effet être aussi considéré comme un fluide de viscosité très élevée: même si elle n’est pas connue précisément, la viscosité dynamique du manteau est estimée à 10^21 Pascal.seconde. Quant à sa rigidité (ou module d’élasticité), elle est de l’ordre de 10^11 Pascal. Le quotient entre viscosité dynamique et rigidité est appelé temps de Maxwell: c’est un temps «caractéristique» de la validité du modèle purement élastique, ici de l’ordre de quelques siècles. Lors de la propagation de tremblements de Terre, sur des échelles de temps de l’ordre de la minute, le modèle élastique est parfaitement justifié.