Pourquoi grelotte-t-on alors que la planète se réchauffe ?

La Grande-Bretagne sous la neige l’hiver 2010.

Ces dernières années, l’Europe a connu des vagues de froid hivernal remarquablement intense. L’hiver 2009-2010 et les mois de décembre 2010 et de février 2012 se sont particulièrement distingués par des températures glaciales, battant localement quelques records. Dans le contexte du changement climatique, une telle succession d’épisodes froids s’accompagne de questions concernant les aspects régionaux du réchauffement global, voire de doutes quant à l’existence de ce dernier. Alors, pourquoi grelotte-t-on alors que la planète se réchauffe ?

La réponse à cette question nécessite d’identifier ce qui pilote la variabilité des températures d’un jour à l’autre et, à plus long terme, d’une année à l’autre. En Europe, et surtout en hiver, il s’agit principalement de la circulation atmosphérique nord-atlantique, notamment des fluctuations autour de l’équilibre du célèbre anticyclone des Açores et de la dépression d’Islande. Lorsqu’ils sont simultanément renforcés, ils intensifient les vents d’Ouest qui transportent l’air doux océanique sur le continent : c’est la phase positive de « l’Oscillation Nord-Atlantique » (NAO). A l’inverse, en phase négative, l’Europe se retrouve sous l’influence de l’air polaire pouvant causer des vagues de froid.

La variabilité hivernale des températures européennes peut donc être décrite par l’alternance des phases NAO. On peut en quantifier l’amplitude par un indice, représentant l’anomalie de la différence de pression entre les Açores et l’Islande, dont le calcul peut se faire via une technique d’analyse des données, l’analyse en composantes principales. Celle-ci permet de décomposer la variabilité des cartes de circulation atmosphérique en effets non corrélés, dont la part dominante est attribuée à l’effet « NAO ». Ainsi, on observe que les épisodes froids de 2009 et 2010 correspondent à des indices très négatifs, voire records.

Ce n’est cependant pas le cas de l’épisode de février 2012 … parce que la NAO n’explique pas tout, mais seulement 35 % de la variance des circulations. En poussant plus loin l’analyse de données, à l’aide d’une classification automatique qui  regroupe des situations atmosphériques semblables, on distingue quatre régimes préférentiels : outre les deux phases NAO, on y trouve le fort anticyclone scandinave transportant l’air froid continental vers l’Europe de l’Ouest – le fameux « Moscou-Paris » responsable de février 2012 – et le régime de flux du Nord balayant l’Ouest du continent et apportant traditionnellement la neige pyrénéenne.

Les récents hivers amorcent-ils une tendance aux régimes de vagues de froid plus fréquents ? La question reste ouverte, d’autant que la prédominance d’hivers NAO+ dans les années 1990 suggérait alors l’inverse. En revanche, il a été démontré qu’à régime donné, les températures sont plus élevées aujourd’hui que par le passé. En particulier,  la méthode des plus proches voisins qui pour un jour d’hiver donné recherche des jours avec des circulations analogues dans les hivers passés, indique que l’épisode de 2009-2010 aurait « dû » être aussi froid que l’hiver glacial de 1962-63.

Loin d’être incompatibles avec le réchauffement global, les récents hivers européens peuvent donc être considérés comme les extrêmes froids d’un climat déjà plus chaud.

Brève rédigée par Julien Cattiaux (CNRM-GAMEd’après ses travaux avec Robert Vautard, Pascal Yiou (LSCE-IPSL), Christophe Cassou (CERFACS), Francis Codron (LMD-IPSL) et Hervé Douville (CNRM-GAME).

Pour en savoir plus :

Crédit Image : Nasa (domaine public).

7 Commentaires

  • patricedusud says:

    Je suis étonné que vous ne parliez pas du rôle de la fonte des glaces dans ce phénomène.

  • horatio says:

    Votre article est très intéressant et m’ouvre tout un horizon de possibilités…
    Je propose toutefois des contre-arguments à votre dernière phrase : ” Les récents hivers européens peuvent donc être considérés comme les extrêmes froids d’un climat déjà plus chaud”.

    Quid de la modification des courants marins et de leur couplage avec les masses d’airs ? Si par exemple le Gulf stream disparaissait (certes c’est peu probable, mais pas impossible) il est clair que le NAO serait fortement modifié et les descentes d’air froid plus longues et plus intenses sur toute l’Europe de l’ouest.

    De plus, si les températures augmentent, les masses d’airs deviennent moins visqueuses et leurs mouvements plus brutaux. Il n’est alors pas déraisonnable de penser qu’à partir d’un certain nombre de Reynolds suffisamment élevé de grandes vagues de froid terrible (-15° à -20°) soient rapidement suivies d’un coup de sirocco de 30° jusqu’en Bretagne !

    Ce sujet tenant à coeur à nombre de nos concitoyens, pourriez vous développer votre propos en tenant compte de mes remarque s’il vous plaît ?

    • Bonjour Horatio,
      C’est vrai qu’il est chouette cet article.
      En ce qui concerne votre point sur le Gulf Stream, je ne vois pas en quoi c’est un contre-argument. Ce que dit l’auteur concerne notre climat actuel, dans lequel le Gulf Stream est toujours bien présent. Les choses seraient en effet bien différentes si le GS venait malheureusement à disparaître… L’auteur aura peut-être des choses à nous dire ?
      Par ailleurs, votre argument sur la viscosité me parait exotique : pour changer la viscosité cinématique de façon à modifier le comportement turbulent des grandes masses d’air, il en faudra des degrés ! J’ai bien peur que l’on ne meurt d’autre chose bien avant ! Et puis au passage, la viscosité cinématique de l’air augmente avec la température (c’est l’inverse pour l’eau) : une masse d’air réchauffée est plus visqueuse (mais c’est marginal).
      Cordialement.

Commentaires clos.